La Mouette : En plein vol
Avec La Mouette, Yves Desgagnés aborde Tchekhov avec plus de sobriété que jamais.
Après Oncle Vania, présenté à la Compagnie Jean Duceppe l’automne dernier, Yves Desgagnés dévoile en ce moment même, sur la scène du TNM, sa relecture de La Mouette, une comédie atypique, c’est-à-dire plutôt tragique et philosophique, où deux générations d’artistes confrontent leur mal de vivre, passent des jours entiers à disséquer leur effroyable sort. Trigorine, Macha, Tréplev, Nina et les autres contemplent, dans les eaux d’un lac, aux abords d’une maison de campagne, l’ensorcelant reflet de leurs angoisses existentielles.
Comment expliquer que ces protagonistes, vautrés dans leur malheur, ruminant leurs désillusions, nous fascinent à ce point? Que nous soyons accrochés à leurs lèvres? C’est bien simple, ils sont humains, trop humains, prisonniers de leur condition, contraints d’occuper le rôle que l’auteur (ou serait-ce le destin?) leur a attribué au sein d’une impitoyable ronde amoureuse à sens unique. Au coeur de cette terrible constellation de solitudes, il y a Tréplev, jeune auteur en quête de formes nouvelles, espérant trouver grâce aux yeux de sa mère, et Nina, jeune comédienne en quête de gloire et de reconnaissance, prête à tout pour s’affranchir du joug paternel. Bien sûr, Tréplev est follement amoureux de Nina, mais cette dernière n’a d’yeux que pour Trigorine, le célèbre écrivain. Dans cette histoire cruelle, les deux âmes soeurs vont se perdre, tragiquement. Maxim Gaudette communique à son personnage une émouvante retenue, une troublante lucidité. Quant à Catherine Trudeau, elle dote le sien d’une admirable ferveur, d’une poignante fragilité.
Après les relectures iconoclastes de Wajdi Mouawad et Serge Denoncourt, des productions réjouissantes et pertinentes, Yves Desgagnés démontre qu’il est peut-être moins divertissant, mais tout aussi efficace, de livrer Tchekhov dans la plus grande des sobriétés. Le spectacle qui en résulte fait retentir une langue (la traduction d’Elizabeth Bourget y est certes pour quelque chose) et des idées sur l’art et la condition humaine qui, quoique vieilles de plus d’un siècle, n’ont pas pris une ride.
Jusqu’au 31 mars
Au Théâtre du Nouveau Monde
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