Claude Poissant : Ce sont amis que vent emporte
Scène

Claude Poissant : Ce sont amis que vent emporte

Claude Poissant porte à la scène le premier roman de Jonathan Harnois, Je voudrais me déposer la tête, une oeuvre qui aborde avec une rare sensibilité et sans un soupçon de complaisance les terribles contrecoups d’un suicide.

La publication du premier roman de Jonathan Harnois, aux Éditions Sémaphore, il y a deux ans, n’est pas passée inaperçue. Finaliste au prix Anne-Hébert 2006, Je voudrais me déposer la tête a suscité les éloges de la critique, les témoignages de lecteurs émus, touchés, reconnaissants. Il est vrai qu’il est plutôt rare qu’un écrivain de 24 ans fasse preuve d’autant de sensibilité et de justesse. Harnois est parvenu à transcender la douleur, tout en la communiquant avec précision, sans débordements, sans excès. Sa prose enlevée, truffée d’images fortes, exprime l’essentiel, l’universel.

Claude Poissant n’avait d’autres choix que d’en faire la nouvelle production du Théâtre PàP: "Je suis tout de suite entré dans cette prose, dans ces images et, c’est sûr, dans cette peine, cette douleur et cette reconstruction. Il faudrait être fait de glace pour rester insensible au parcours de Ludo." Pour Ludovic, la mort de Félix survient au pire moment, alors qu’il a de la difficulté à faire sa place dans le monde des adultes, alors qu’il n’a que lui, son ami, son allié, sur qui compter. Par conséquent, le deuil de Ludovic est d’abord nourri de révolte. Le jeune banlieusard ouvre les vannes, laisse sourdre sa rage, une rage qu’il détourne, forcément, vers Félix, celui qui l’a lâchement abandonné. Heureusement, il y a Andelle, sa copine, source de réconfort, d’apaisement. Parce que les deuils ont ceci de bien qu’ils font grandir… Ludovic finira par se réconcilier avec la vie.

CARTE BLANCHE

C’est en voyant Le Traitement que Jonathan Harnois comprend à qui il a affaire: "Le contact était déjà bon, j’avais confiance en Claude d’emblée, mais après avoir vu Le Traitement, j’étais emballé." Le jeune auteur donne alors carte blanche au metteur en scène: "J’avais envie que ça devienne autre chose, je dirais même que j’avais besoin que Claude emmène ça ailleurs, dans un endroit qui lui ressemble. Au bout du compte, je dois avouer que je suis assez impressionné du résultat." C’est la première fois que Claude Poissant adapte un roman à la scène: "J’avais besoin d’un défi formel, j’en ai trouvé un. Disons que je n’ai pas eu peur de m’endormir. Pendant longtemps, je ne savais pas du tout ce que j’allais faire."

Heureusement, en cherchant, le metteur en scène trouve des solutions. Il décide notamment de démultiplier le personnage de Ludovic, de l’incarner trois fois plutôt qu’une, dans les corps et les voix de Christian Baril, Étienne Pilon et François Simon T. Poirier. À Annick Bergeron, le metteur en scène confie le rôle de la mère de Félix, à Sylvie de Morais Nogueira, celui de la lumineuse Andelle.

Le Québec, c’est connu, bat des records en matière de suicide. Chez les jeunes hommes de 15-19 ans et de 20-29 ans, le suicide représente la principale cause de mortalité. Affronter le suicide d’un proche, c’est s’engager dans l’un des deuils les plus pénibles qui soient. Ce processus, Claude Poissant le connaît bien. En 1993, il créait Si tu meurs, je te tue, sa propre pièce, sur la mort du frère. L’an dernier, il créait La Fête sauvage, une pièce de Mathieu Gosselin sur un groupe de personnages marqués par le suicide d’un ami. Et maintenant, l’histoire de Ludovic: "Moi, le deuil, je ne peux pas dire que je ne connais pas ça. Des amis, j’en ai perdu beaucoup. Je m’en rends compte maintenant, le roman de Jonathan est sûrement venu me chercher par là. Il y a des gens qui m’ont dit: ça va te faire une année heavy. Mais ce n’est pas le cas. Je suis en création, moi, c’est une entreprise de construction que je mène, pas de destruction."

C.V.

Jonathan Harnois considère que l’écriture de son roman a été, du moins au début, un exorcisme: "Je n’irais pas jusqu’à dire que ça a été une thérapie, mais sûrement une façon d’explorer des zones de moi-même que je n’aurais pas osé explorer autrement." Pour rendre les confessions de Ludovic à ce point vibrantes, l’auteur avoue s’être acharné à conserver l’énergie première de son manuscrit: "C’est le travail le plus beau et le plus important que j’ai eu à faire: ne pas dénaturer le premier élan, l’état d’esprit dans lequel j’ai écrit la première version. Dans ce flot, qui donne rarement quelque chose de structuré, il y a une énergie qu’il faut préserver. En quatre ans de travail sur ce texte, j’ai souvent été tenté de bafouer ce mouvement initial, mais je ne l’ai jamais fait. J’ai fini par trouver un équilibre, c’est-à-dire créer un récit compréhensible, accessible, sans pour autant me limiter dans ma poésie." Il s’agissait en somme de trouver le meilleur dosage d’ombre et de lumière: "Au début, le texte était très noir, mais je savais que ça s’en allait vers quelque chose de lumineux. Je n’aurais jamais voulu que le roman paraisse s’il n’y avait pas eu cette note lumineuse à la fin."

Du 27 mars au 21 avril
Au Théâtre Espace GO
Voir calendrier Théâtre