Anne-Marie Olivier et Hélène Florent : Le confessionnal
L’auteure Anne-Marie Olivier et la comédienne Hélène Florent lèvent le voile sur Le Psychomaton, deuxième création du Groupe Ad Hoc. Instantanés de vies.
DE LECTURE EN ECRITURE
"Après Gros et Détail, les filles du Groupe Ad Hoc m’ont demandé d’écrire une pièce, se souvient Anne-Marie Olivier. Je les ai rencontrées deux fois pour savoir ce qui les intéressait et on s’est rendu compte qu’on voulait faire quelque chose de contemporain, parler de notre monde. Mais c’était assez chaotique, il y avait vraiment de tout…" C’est ainsi qu’elle a eu l’idée du Psychomaton, machine qui lui servirait de "prétexte pour entrer dans la vie intérieure des gens" et aborder toutes sortes de thèmes. Sans compter que cette manière de confessionnal, privilégiant le monologue, faciliterait son passage du conte au théâtre. "Pour moi, ça a été une école, précise-t-elle, et c’est à travers les ateliers que j’ai pu ajuster le texte."
Présentée dans une version "embryonnaire", à l’occasion d’Impressions d’ici, en 2005, la pièce a d’ailleurs beaucoup évolué au fil du temps. "L’idée était justement de la faire entendre pour avoir des échos et continuer l’écriture, rappelle Hélène Florent. L’accueil avait été bon, mais là, c’est beaucoup plus complet." "Certains personnages ont disparu, d’autres ont été approfondis… poursuit l’auteure. On a vraiment fait du nettoyage et vu ce qui était plus pertinent, plus percutant…" Ainsi y a-t-il désormais davantage d’allers-retours entre ce qui se passe dans le Psychomaton et la vie de ses inventeurs, dont la relation s’est étoffée. "On s’attache beaucoup à ces personnages et on essaie de croire avec eux que ça va fonctionner, renchérit la comédienne. Aussi, c’est intéressant de passer de l’un à l’autre."
COMMUNICATION A LA CLE
Parmi les sujets abordés, l’auteure relève notamment "la vacuité spirituelle de notre époque". "C’est-à-dire que tu vas demander à quelqu’un s’il est athée et il va te dire "oui", mais finalement, il croit un peu en Jésus, un peu en Bouddha… Il y a certaines valeurs universelles, pacifiques, auxquelles les gens adhèrent, mais quand tu regardes leurs comportements – et je m’inclus là-dedans -, ils n’ont vraiment pas rapport avec ces valeurs. Depuis la mort de la religion au Québec – bon, elle n’est pas morte, mais elle n’est pas forte -, quelles sont nos valeurs, nos fondements? C’est un peu mou, un peu vaseux… C’est la danse des poulets pas de tête!" constate-t-elle. Dans son désir d’écrire une pièce qui soulève des questions, parce qu’elle s’en pose beaucoup, elle s’en remet du reste à Josée, le personnage d’Hélène. "Elle travaille dans une station-service et elle veut changer le monde, mais elle ne sait pas trop comment s’y prendre, observe-t-elle. Elle cherche un sens à ce qu’elle voit, elle sent la souffrance des gens et, du haut de son secondaire cinq, avec son ami Polo, elle va créer une machine pour les écouter, parce que ses essais à elle ne fonctionnent pas… C’est une pièce éclatée, comme une courtepointe." N’empêche, la comédienne y décèle néanmoins un fil conducteur, soit "l’impossibilité de communiquer". Ce qui n’est pas sans lien avec l’objectif premier d’Anne-Marie Olivier, celui d’instaurer un dialogue avec le spectateur: "J’espère de tout mon coeur que ça parle au monde", confie-t-elle.
FIGURES DE STYLE
Pour ce faire, elle peut certainement compter sur le charme de son écriture au style si particulier. "Ce sont ses personnages qu’on aime, estime Hélène Florent. L’univers dans lequel elle nous plonge, de ces gens tout simples, qui resteraient dans l’ombre et qui n’ont pas une vie flamboyante, mais qui ont une histoire à raconter. Elle a une façon d’utiliser les mots très personnelle et poétique. Et ce qui est beau de son travail, c’est qu’elle écrit des choses drôles, mais qui, par le détour, nous rentrent dedans parce qu’elles sont empreintes d’une grande vérité et de sensibilité." Son personnage, par exemple, lui semble aussi charmant qu’amusant. "Josée travaille dans un poste à gaz… lance-t-elle.
– Mais c’est pas juste un dépanneur… continue l’auteure.
– C’est un towing moral…
– Elle est en désarroi, elle regarde le monde qui l’entoure et elle veut faire quelque chose. Mais elle essaie des affaires qui ne sont vraiment plus à la mode: la politesse, la courtoisie, la compassion… Elle cherche dans la science, dans la philosophie; elle fait des tests sur le terrain… Sans succès. Et moi, je trouve ça touchant; c’est drôle et, en même temps, ça me brise le coeur quand la tentative d’aller vers l’autre se solde par un échec. Mais je crois que ça en dit long sur la manière dont on communique aujourd’hui.
– Elle est vraiment drôle et sa foi la rend belle. Elle ne sait pas quoi faire, comment faire, mais elle est sensible à tout ce qui l’entoure et elle veut faire quelque chose. Comment elle s’y prend, si ça marche ou non, on va voir, mais elle a foi en l’être humain et elle croit qu’elle peut faire une différence. Ça, c’est super intéressant à porter."
Ensuite, il y a Polo, "un patenteux de métier", interprété par Hugues Frenette. "C’est lui qui va inventer la machine, indique Anne-Marie Olivier. Dans le passé, son talent a servi pour un mauvais coup et il est allé en prison. Maintenant, il répare des grille-pain…
– Là, il va utiliser son génie à bon escient, pour un projet positif, complète Hélène Florent.
– C’est un homme qui écoute beaucoup parce que Josée parle énormément…"
Autour d’eux gravitent enfin une vingtaine de personnages, de tous les milieux et de tous les âges. Un défi de taille pour les acteurs. "Je les regarde aller et ils m’épatent beaucoup, commente l’auteure, parce qu’ils passent d’un à l’autre et que c’est vraiment crédible." Dans un même ordre d’idées, la comédienne explique: "Ce que Véronica [Makdissi-Warren, la metteure en scène] a recherché, c’est la vérité de ça, que ce soit le plus sincère possible. Parce que même si le personnage est coloré et que ce qu’il vit peut surprendre, bouleverser, si on sent son humanité, il peut toucher." Cela dit, quand on lui demande si le spectacle correspond à ce qu’elle avait imaginé, l’auteure rétorque: "Non, et c’est bien, parce qu’ils sont bons et qu’ils arrivent à m’accrocher émotivement. Alors, j’arrête de décortiquer et je me sens portée par un grand sentiment d’ivresse…"
Lancement du livre,
publié chez Dramaturges Éditeurs,
le soir de la première
Du 19 avril au 5 mai
Au Théâtre Périscope
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