La Fièvre et Le Pleureur désigné : Banc des accusés
Scène

La Fièvre et Le Pleureur désigné : Banc des accusés

La Fièvre et Le Pleureur désigné, les pièces de Wallace Shawn mises en scène par Stacey Christodoulou, semblent se répondre.

Bien qu’une sorte de dialogue existe entre les pièces, on assiste, dans les deux cas, à des monologues. D’abord avec La Fièvre, texte créé pour un public restreint où Philippe Ducros (traducteur et comédien) se livre à une réflexion à haute voix, avec la culpabilité des bien nantis, sur les rapports entre les privilégiés et les sans moyens. Ensuite avec Le Pleureur désigné, où, par un jeu de narration qui confine essentiellement les acteurs à narrer ou à jouer isolément des tirades d’une discussion déjà passée, trois personnages argumentent sur l’art, son rôle, et avec une tension certaine, sur la gauche et la droite.

La Fièvre porte bien son nom, car on a l’impression d’assister en direct à la prise de conscience d’un individu qui, saisi par une lucidité soudaine, disserte et décortique, d’un seul souffle d’une heure quinze, un malaise qui le possède. Difficile d’imaginer meilleur endroit que la Salle intime du Prospero pour cette pièce, car ce monologue ressemble à une confession qui ne pourrait être livrée ailleurs qu’en terrain intime. Le texte, sarcastique et impitoyable, est riche, brillamment traduit et adapté. Du côté du jeu, on sent bien l’évolution de la réflexion et de la responsabilité dans la manière d’aborder la partition, qui dévoile autant d’accusations et de condamnations contre les autres qu’un sens acerbe de l’autocritique. Ces tirades sont en fait défensives, issues d’un sentiment profond de culpabilité et habitées par des préjugés que le narrateur tente d’exorciser. Par contre, le peu de mouvements physiques (Ducros demeure assis du début à la fin), le peu de jeux d’éclairage et la quasi-absence d’effets sonores laisse l’oeuvre reposer entièrement sur l’acteur et le texte. Le parti pris est valable, certes, mais n’est pas évident à livrer (le jeu n’arrive pas à contenir la même efficacité tout le long) et, non plus, à recevoir. La matière comporte une charge qui nous ébranle, pendant que la proposition scénographique frôle la monotonie.

Texte moins percutant que La Fièvre, et aussi moins bien ficelé, moins serré, Le Pleureur désigné, par son jeu narratif, ressemble parfois plus à un film, et surtout à un roman, qu’à une pièce. Difficile de voir un acteur de la trempe de Jean Boilard, par exemple, ne pas devoir interagir avec les autres acteurs et se contenter essentiellement de jouer les narrateurs. Non seulement la pièce manque-t-elle de véritables échanges, mais elle semble souffrir d’un certain déracinement. On voit mal d’où le texte part et dans quel lieu il se joue. Outre le contexte du cercle intellectuel et artistique, on ne sait trop de quel paysage est née cette réflexion. Aussi, les parenthèses sur l’art (qui entrent parfois de manière un peu forcée dans le propos général), si elles sont souvent drôles, ne font pas, encore là, l’objet de discussions. Si chacun est dans son monde (malgré une forme de révolution qui s’amorce à l’extérieur) et que le dialogue est par conséquent difficile à établir, on se demande pourquoi ce texte a été écrit pour le théâtre plutôt que livré en roman…

Jusqu’au 14 avril
Au Théâtre Prospero
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