Marie-Thérèse Fortin : Maison de poupée
Scène

Marie-Thérèse Fortin : Maison de poupée

Marie-Thérèse Fortin signe la mise en scène de la plus récente pièce de Michel Marc Bouchard, Des yeux de verre. Sylvie Léonard et Bénédicte Décary sont de la distribution.

Marie-Thérèse Fortin et Michel Marc Bouchard sont de vieux amis. Ils se sont connus au Cégep de Matane, alors qu’elle étudiait en sciences de l’éducation et lui en tourisme. La comédienne et metteure en scène s’en souvient comme si c’était hier: "Michel Marc faisait déjà du théâtre à cette époque, des spectacles grandioses de trois heures dans lesquels il abordait des thématiques proches de celles qu’il aborde maintenant. Il y avait déjà cette grandeur et en même temps cette efficacité dans la dérision, le sarcasme même. Moi, je ne me destinais pas nécessairement à une carrière en théâtre, mais à me frotter à cette gang-là, extrêmement dynamique, j’y ai pris goût." Trente ans plus tard, la passion est toujours là, de part et d’autre, puisque Marie-Thérèse Fortin, directrice artistique du Théâtre d’Aujourd’hui, signe la mise en scène de la plus récente pièce de Michel Marc Bouchard, un auteur célébré dans le monde entier.

Avec Des yeux de verre, réécriture en profondeur de La Poupée de Pélopia, une pièce qui hante son auteur depuis près d’un quart de siècle, Michel Marc Bouchard aborde de front le tabou ultime, celui de l’inceste. En 2005, le texte a fait l’objet d’une lecture publique dans le cadre de la Semaine de la dramaturgie du CEAD. C’est là que Marie-Thérèse Fortin a décidé de le monter: "J’étais troublée par la pièce et je voulais comprendre pourquoi. Je trouvais qu’elle était bien troussée, qu’elle témoignait d’un sens inouï du théâtre et de l’intrigue, mais en même temps j’avais une espèce de vertige par rapport à elle. Puis, je me suis dit que c’était une raison suffisante pour y aller. Disons que le vertige ne m’a pas encore quittée, ce qui, j’imagine, est un bon signe." Des yeux de verre vient d’être publié chez Leméac, voilà ce qu’on peut lire en quatrième de couverture: "Les retrouvailles entre Estelle et maître Daniel, son père, ont un parfum d’inceste mâtiné de secrets de famille. Lorsqu’elle revient à la maison après quinze ans d’éloignement, elle arrive à une bien mauvaise heure: le lendemain, une conférence de presse devrait consacrer internationalement la passion de son père pour les poupées. Mais quel autre moment aurait donc Estelle pour se venger de l’homme qui a mis fin abruptement à son enfance, et qu’elle aime pourtant plus que tout au monde?"

Michel Marc Bouchard n’a jamais eu la réputation de faire les choses à moitié, mais cette fois il va très loin. Sans prendre parti ni juger ses protagonistes, le dramaturge ose dire tout haut ce qui a presque toujours été gardé sous silence. Selon Marie-Thérèse Fortin, la pièce impose par conséquent de la précision, beaucoup de retenue: "Pour concrétiser ces mots-là, pour que la parole passe, qu’il n’y ait pas de blocages, que les spectateurs ne se braquent pas, tout est une question de dosage. C’est là-dessus que nous avons le plus travaillé. J’ai dû amener les acteurs dans des eaux bien peu fréquentées, un territoire qui demande beaucoup de courage." Pour défendre Daniel, Judith, Brigitte et Estelle, les personnages du thriller psychologique de Bouchard, la metteure en scène a choisi Guy Thauvette, Sylvie Léonard, Sophie Cadieux et Bénédicte Décary.

AUTOPSIE D’UN GACHIS

Selon Marie-Thérèse Fortin, la pièce ne fait le procès de personne, elle se contente de procéder à l’autopsie d’un gâchis: "Ce qui est intéressant, c’est que l’événement, le crime, a eu lieu il y a 15 ans. La pièce, c’est la résurgence de tout ce qui avait été refoulé. Pendant toutes ces années, ils ont vécu dans un déni total. Puis, tout à coup, l’enfant revient. Elle réclame son identité, tient à rejouer le drame, parce que c’est la seule façon de faire surgir la vérité." Ici, explique la metteure en scène, bien plus que dans La Poupée de Pélopia, c’est la fonction parentale qui est en question: "Symboliquement, ces parents sacrifient leurs enfants. Ils les dévorent au profit des apparences, d’une notoriété, d’un statut ou d’une réputation."

Judith, ce n’est pas une mère, c’est l’épouse et la relationniste d’un célèbre fabricant de poupées; une femme qui, pour préserver sa relation avec un homme qui est tout pour elle, s’accroche férocement aux apparences. Sylvie Léonard a la lourde tâche de l’incarner: "Judith a toujours vécu dans le déni, avant comme après l’événement. Elle a accouché, mais ce n’est pas une mère. Ses filles ont brisé son paradis, elles sont ni plus ni moins des rivales."

Bénédicte Décary personnifie Estelle, celle qui revient au bercail après 15 ans d’absence, en quête de vérité: "Pour décrire Estelle, Marie-Thérèse m’a donné l’image d’un kamikaze. C’est une femme qui n’a rien à perdre. Par sa seule présence, elle va jeter une bombe dans sa famille. Ce qui m’a aidée à construire le personnage, c’est de comprendre que l’inceste est un meurtre psychique, une chose qu’on porte constamment et qui ne peut pas être assimilée, un drame dont on ne peut pas guérir. Estelle a tout essayé pour s’en sortir, mais elle n’y arrive pas. C’est pour ça qu’elle revient dans sa famille. Elle est là pour affronter son agresseur, demander justice et faire éclater la vérité."

Selon Sylvie Léonard, qui a déjà exploré le thème de l’inceste en incarnant Julie Galarneau dans L’Héritage, un téléroman de Victor-Lévy Beaulieu diffusé sur les ondes de Radio-Canada dans les années 80, le plus important est de comprendre que l’inceste est le fruit d’un dérèglement familial: "Notre défi avec cette pièce, c’est de mettre en lumière le dysfonctionnement d’une famille, et non pas de taper sur des coupables. L’inceste, ça ne se passe pas juste entre deux personnes, ça se produit parce qu’il y a une dynamique familiale malsaine, parce que les parents ne sont pas à la hauteur. La pire chose que tu puisses faire à un enfant, c’est de lui faire tenir un rôle de parent. Aucun enfant ne doit avoir la responsabilité de combler les besoins d’un parent. C’est un renversement des rôles tragique et destructeur."

C.V.

Michel Marc Bouchard est né en 1958 au Lac-Saint-Jean. C’est en 1983 qu’il fait son entrée sur la scène montréalaise, avec La Contre-nature de Chrysippe Tanguay, écologiste, une pièce créée au Théâtre d’Aujourd’hui dans une mise en scène d’André Brassard. Suivront La Poupée de Pélopia (1984), Les Feluettes (1987), Les Muses orphelines (1988), L’Histoire de l’oie (1992), Le Voyage du Couronnement (1995), Le Chemin des Passes-dangereuses (1998), Sous le regard des mouches (2000), Les Manuscrits du déluge (2003) et Le Peintre des madones (2004). Traduit en plusieurs langues, porté au petit et au grand écran, le théâtre de Michel Marc Bouchard est connu de par le monde. Dans Les Muses orphelines et L’Histoire de l’oie, aussi bien que dans La Poupée de Pélopia et Des yeux de verre, le dramaturge explore, sans complaisance ni manichéisme, les blessures de l’enfance. Bien plus qu’une banale réécriture, la plus récente pièce de Michel Marc Bouchard prouve que l’auteur s’est réconcilié avec ses personnages, qu’il a cessé de chercher à les comprendre pour les accepter tels qu’ils sont, avec leurs parts d’ombre et de lumière. Vingt ans après leur naissance, Daniel, Judith, Brigitte et Estelle reviennent sur la scène du Théâtre d’Aujourd’hui, là où ils ont vu le jour, dans toutes leurs contradictions.

Du 10 avril au 5 mai
Au Théâtre d’Aujourd’hui
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