Karine Denault : Le goût des autres
Karine Denault habite la demi-scène des Doubles Territoires de Tangente avec un solo bâti sur le principe de l’échantillonnage musical. Une démarche originale qui fait rimer danse et performance.
Appelée par la création chorégraphique à l’aube de la trentaine, Karine Denault a spontanément séduit par sa vitalité, l’originalité de sa gestuelle, l’intensité de sa présence, et par l’intelligence de ses propositions. Félinité et pureté des lignes caractérisent la danse de cette charismatique chorégraphe qui a choisi, pour sa nouvelle création, de se réapproprier ouvertement des extraits d’oeuvres d’artistes qui l’inspirent tout particulièrement. La version finale de Not I & Others devrait ainsi comprendre des références très explicites à sept créateurs dont trois sont déjà intégrés au work in progress qu’elle présente cette semaine: l’écrivain irlandais Samuel Beckett, l’artiste visuel autrichien Erwin Wurm et le performeur américain Kenneth Goldsmith.
"Avant même de commencer à travailler, je voyais déjà des liens entre les différentes oeuvres qui pouvaient former un tout intéressant une fois travaillées dans le contexte d’une pièce dansée, confie la soliste. Toutes parlent du corps de manière directe ou indirecte, et la bouche est très présente. Dans Not I, par exemple, le texte de Beckett, c’est une bouche qui parle sans arrêt… Son travail se prête très bien à la danse parce que ses personnages sont des corps avant d’être des gens."
Autre élément commun aux oeuvres choisies: le corps y est toujours anonyme. Kenneth Goldsmith décrit une suite de mouvements sans mentionner qui les exécute ni dans quel contexte. Karine Denault en propose donc une interprétation toute personnelle. Quant à Erwin Wurm, il filme des positions spécifiques de gens pris dans des vêtements qui les dissimulent. "Je trouvais intéressant de travailler ces oeuvres dans un corps qui n’est pas anonyme, mais qui est clairement moi, commente Karine Denault. Je reprends par exemple les positions sans les vêtements, mais j’essaye de garder dans le corps la tension que le vêtement créait."
Adoptant une gestuelle plus minimaliste qu’à l’habitude, Karine Denault invite le spectateur à une observation rapprochée du corps en mouvement: l’absence de sièges laisse le loisir au public de s’installer où bon lui semble et de se déplacer à sa guise. Un contexte aussi déstabilisant que stimulant pour la créatrice qui intègre pour la deuxième fois des mots à son oeuvre. "Travailler la voix en disant un texte amène une couche de sens supplémentaire par rapport à ce qui se passe dans l’espace et le corps, explique-t-elle. Je trouve intéressant de venir brouiller les pistes des propositions gestuelles par quelque chose qui donne une autre couleur… Chaque proposition a sa propre logique et sa propre sémantique et les mettre ensemble crée un nouveau sens."
Celle qui cherche sans cesse de nouvelles façons de se mouvoir a travaillé les textes de manière physique afin qu’un sens s’en dégage au-delà des mots. "Même si quelqu’un ne comprend pas l’anglais, il y a, espérons-le, quelque chose qui passe de l’oppression, de la tension et de la nervosité qui habitent le texte de Beckett", affirme-t-elle. À vérifier dans une soirée qui nous permettra aussi d’apprécier un solo d’un tout autre genre: le Perfect Pretty de Sasha Ivanochko.
Du 12 au 15 avril
À Tangente
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La chorégraphe Meg Stuart
Samuel Beckett, Erwin Wurm et Kenneth Goldsmith