Des yeux de verre : Rôles familiaux
Avec Des yeux de verre, Michel Marc Bouchard et Marie-Thérèse Fortin se penchent sur le sort d’une famille aux membres désarticulés.
Bien plus encore que d’inceste, c’est des ravages du manque d’amour qu’il est question dans la plus récente pièce de Michel Marc Bouchard. À l’origine du désastre familial que dépeint Des yeux de verre, il y a de graves carences affectives, un mal qui court tragiquement d’une génération à l’autre. Certains diront que le spectacle mis en scène par Marie-Thérèse Fortin adopte un point de vue biaisé sur la "problématique" de l’inceste. Et ils auront entièrement raison! Nous ne sommes pas en présence d’un théâtre documentaire censé explorer les tenants et les aboutissants du phénomène. L’auteur et la metteure en scène ont adopté un point de vue personnel, le seul qui puisse engendrer une oeuvre d’art, le seul qui mérite d’être entendu entre les murs du Théâtre d’Aujourd’hui.
La poupée est une puissante métaphore de la fragilité et de la dépendance, l’incarnation par excellence de la vulnérabilité. En ce sens, les quatre personnages de la pièce sont tout à fait comparables à des poupées, créatures assoiffées d’amour et d’attention. Là où le bât blesse, cruellement, c’est qu’aucun des membres de cette famille ne sait tenir le rôle qui lui a été attribué. Daniel n’est pas un père. Judith n’est pas une mère. Et, par conséquent, Estelle et Brigitte n’ont jamais entretenu avec leurs géniteurs des rapports de nature filiale. Dans cette maison de poupée, la rivalité et la concupiscence ont causé des dommages irréparables. L’auteur des Muses orphelines aborde ce sujet épineux en empruntant aux contes de fées et à la mythologie grecque. Malheureusement, hormis par sa scénographie, une architecture qui rompt sans ambiguïté avec le réalisme, le spectacle de Marie-Thérèse Fortin résiste au symbolisme de la partition.
Évitant le cliché du vieil homme libidineux, Guy Thauvette fait voir l’humanité du bourreau. Avec sa longue chevelure de poupée, Sylvie Léonard donne froid dans le dos. Pour maintenir ce qu’elle appelle l’équilibre, on la croit prête à tout. Dans la peau de la victime qui se jette dans la gueule du loup, Bénédicte Décary émeut. Pas un seul instant la peur ne quitte son regard profond. Dans les accoutrements de Brigitte, Sophie Cadieux apporte un contrepoint comique au tragique abyssal de la pièce. La lucidité de son personnage nous rassure, sa clairvoyance nous apaise, son affranchissement, comme une grande ondée d’espoir, nous soulage.
Jusqu’au 5 mai
Au Théâtre d’Aujourd’hui
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