Kristian Frédric : Chronique d'une mort annoncée
Scène

Kristian Frédric : Chronique d’une mort annoncée

Kristian Frédric voit sa mise en scène de Big Shoot, le duel de l’Ivoirien Koffi Kwahulé, reprise entre les murs de l’Usine C.

C’est le comédien Denis Lavant qui a fait découvrir Big Shoot à Kristian Frédric, en 2001, à l’époque où ils créaient ensemble La Nuit juste avant les forêts de Koltès: "Au départ, ce texte vraiment bizarre m’a beaucoup bousculé. Je ne savais pas quoi penser de cette histoire de bourreau et de victime qui viennent mettre la mort en spectacle. Je me rappelle même l’avoir jeté au sol."

Mais on ne se débarrasse pas si facilement d’une partition aussi taraudante que celle de Koffi Kwahulé, dramaturge ivoirien fasciné par les films américains et le jazz. En septembre 2005, à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier, le directeur artistique de la compagnie Lézards qui bougent dirige Daniel Parent et Sébastien Ricard dans la création québécoise de Big Shoot. Le spectacle fait forte, très forte impression, auprès du public comme de la critique. Après avoir visité Québec, Ottawa et quelques villes françaises, la production est de retour à Montréal, entre les murs de l’Usine C.

"Quand on a découvert cette langue, en la propulsant dans l’espace avec Daniel et Sébastien, des choses se sont ouvertes et éclairées d’un seul coup. J’ai découvert un texte magnifique et une histoire passionnante, très troublante, bien plus complexe qu’on ne pourrait le croire au premier abord." Big Shoot est un face-à-face, une mise à l’épreuve de deux hommes; l’un joue le rôle du bourreau, l’autre de la victime, ce sont Caïn et Abel. On pourrait être n’importe où, mais quelque part où la violence est le dernier recours, où la mort est spectacle, une implacable mise en scène de notre propre démission: "J’ai appris, bien après avoir mis en scène la pièce, que Koffi l’avait écrite à son retour du Rwanda, à la fin du massacre. Bien sûr, la pièce ne parle pas directement du génocide, mais elle aborde la question du massacre entre frères. En même temps, c’est assez koltésien comme écriture. On ne peut s’empêcher de penser à Dans la solitude des champs de coton, aux rapports entre l’acheteur et le dealer. C’est un univers qui fait aussi penser à la tauromachie, à une corrida." En somme, la relation entre les deux personnages, extrêmement riche et subtile, permet de projeter une multitude de rapports.

Les deux protagonistes, combattants intemporels, sont captifs d’une cage de verre, un environnement soigneusement créé par Enki Bilal, avec la collaboration de Charles-Antoine Roy (décor) et François Saint-Aubin (costumes). Les éclairages sont de Nicolas Descôteaux, la conception sonore de Larsen Lupin, la vidéo du Bureau officiel, la chorégraphie des combats de Huy Phong Doan et les maquillages de Jean Bégin. "J’ai choisi de les situer dans un lieu perdu, une structure qui tourne sur elle-même dans un vide sidéral. Je voulais que ce soit hors du temps, à la fois d’hier et d’aujourd’hui, de n’importe où."

Jusqu’au 28 avril
À l’Usine C
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C.V.

Kristian Frédric est très engagé dans la promotion des auteurs contemporains. Depuis 1989, à titre de directeur artistique de la compagnie Lézards qui bougent (Bayonne, France), il a produit 11 créations d’autres metteurs en scène et coproduit cinq spectacles avec des structures extérieures. Après avoir collaboré avec le Théâtre PàP, dans le cadre de la série "Paroles à ma tribu", il se découvre des atomes crochus avec Denis Lavalou, codirecteur du Théâtre Complice. Bientôt, les deux hommes vont unir leurs forces autour d’un texte de l’Australien Daniel Keene. En ce moment, Kristian Frédric dirige, à l’École nationale de théâtre, un atelier sur la langue de Koltès. Quand il parle de ses étudiants, le créateur a les yeux qui brillent. Gageons qu’il finira par s’installer définitivement au Québec.