La Leçon d'histoire : La société du spectacle
Scène

La Leçon d’histoire : La société du spectacle

La Leçon d’histoire du Britannique Alan Bennett, considéré comme un ancêtre de Monty Python, secoue les préjugés et questionne l’éducation, la performance, l’art et le théâtre de la vie. Rencontre avec Serge Denoncourt, le metteur en scène.

C’est lors d’un de ses nombreux séjours états-uniens que Serge Denoncourt tomba, par hasard, sur La Leçon d’histoire d’Alan Bennett, qu’il fit ensuite traduire par Geneviève Lefebvre. Sa première réaction: "Wow! Un auteur qui fait confiance à notre intelligence et qui ne le fait pas en dents de scie et avec lourdeur. Et s’il y a beaucoup d’humour, il ne fait pas du populisme pour avoir plus de monde dans la salle."

Ensuite, vint rapidement la sensation de marcher sur une glace mince: "Il est souvent border, il aborde des sujets délicats et il est facile de s’inquiéter de la réaction des gens. Mais le public est intelligent et Bennett n’apporte pas de réponses, il ne juge pas non plus. De scène en scène, il défait ou questionne l’idée qu’il vient d’avancer."

La pièce présente huit élèves brillants, à l’école dans les années 80. Leur but: être admis à l’université la plus prestigieuse d’Angleterre. Devant eux, un directeur obnubilé par le succès et deux profs. Un plus vieux, excentrique (joué par Robert Lalonde), que l’on accusera de harcèlement sexuel, et un plus jeune (Gabriel Sabourin), qu’un élève harcèlera. L’un représente la vieille Europe et se dissocie aisément du système scolaire, et l’autre, avec une approche plus américaine, croit aux valeurs insufflées par le directeur. Une seule femme, Danielle Lépine, fait partie de la distribution qui regroupe pas moins de huit jeunes acteurs (incluant entre autres Francis Ducharme et Éric Paulhus), dont cinq sont méconnus: "On dit au public de venir voir qui occupera la scène pour les années à venir, car il s’agit vraiment d’acteurs formidables."

Au-delà des accents, Denoncourt, dont la direction d’acteurs est une des forces, a beaucoup insisté pour que les comédiens comprennent bien et transmettent clairement, sur le plan du phrasé et de l’intention, un texte écrit avec précision. Ici, personne ne mâchouille ses mots et les nombreuses citations doivent se rendre, sans difficulté, jusqu’au spectateur: "Bennett joue dans les nuances, et c’est important de faire sentir que tel mot est tel mot. Quand tu parles de harcèlement sexuel, tu dois utiliser les bons mots." Par son travail dans les mondes de l’opéra et du cirque, Denoncourt est autant habitué aux grosses productions qu’aux petits budgets, mais ici, on se retrouve simplement dans une classe et il ne s’agit pas de théâtre esthétisant mais bien d’un texte et du jeu: "J’ai essayé de recréer l’Angleterre moins par tout ce qu’il y a autour que par la façon de jouer, l’ironie, le stylisme, le pince-sans-rire des Anglais." Pas de sentimentalisme ni de moralisation: "C’est Dead Poets Society sans le sucre, le miel et l’américanité."

La pièce traite d’histoire, mais aborde aussi la vieillesse, l’homosexualité, le journalisme, la culture et sa raison d’être. "Je ne pourrais pas faire que de l’Opsis, du cirque ou de l’opéra", nous dit celui qui monte parfois huit spectacles par année. "Chaque objet répond à un besoin différent que j’ai." Aussi, environ une fois tous les six ans, Denoncourt ressent l’urgence de questionner le théâtre et la vie, au risque d’ébranler nos certitudes: "Je ne suis pas un artiste qui ne veut faire que du beau ou du cute: je questionne le monde dans lequel je vis." Il se trouve que le dramaturge britannique arrive à cerner de façon intelligente, au milieu des faux débats, le coeur du problème. "Bennett réussit à poser la bonne question, c’est pourquoi je voulais le monter."

Jusqu’au 2 juin
Au Théâtre Jean-Duceppe
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C.V.

Diplômé de Lionel-Groulx en 1983, Serge Denoncourt pratique d’abord son métier de comédien avant de monter Grand et Petit de Botho Strauss, en 1987. Il fait depuis partie des metteurs en scène les plus en vue du Québec. Parmi la centaine de pièces montées, où l’on retrouve des Molière, des Miller et du Brecht, on retiendra, entre autres, ses lectures de Tchekhov – La Demande en mariage, Comédie russe, Je suis une mouette (non ce n’est pas ça), La Cerisaie -, celles des pièces de Michel Marc Bouchard et son travail au sein du Théâtre de l’Opsis, dont il est l’un des fondateurs.