Pierre Lebeau : Baisers lyriques
Scène

Pierre Lebeau : Baisers lyriques

Avec Lèvres, Pierre Lebeau embrasse à pleine bouche la poésie québécoise en parant des plus beaux atours les textes qu’il a choisis avec amour. Rencontre.

À quoi songe le robuste Pierre Lebeau lorsqu’un certain Denis Marleau, directeur artistique du Théâtre français du CNA, lui donne carte blanche? Il pense à de la poésie… québécoise, de préférence. À de la musique aussi. Au théâtre, inévitablement. Et… à des projections vidéo, pourquoi pas?

Déplorant le fait que la poésie est souvent mal servie au Québec, Pierre Lebeau pense pouvoir faire mieux… Mieux que les poètes qui ne sont pas toujours en bonne position pour donner voix à leurs propres textes. Mieux que certaines tentatives parfois ampoulées de mettre la poésie en scène… Tout ça, en évitant les pièges anthologiques ou académiques que pourraient revêtir les bonnes intentions de ce genre.

Ce qui devait d’abord être un spectacle autour de l’oeuvre Prochain Épisode d’Hubert Aquin s’est ainsi métamorphosé en un happening poético-musical où Lebeau revisite les oeuvres de poètes des années 60 Gaston Miron, Claude Gauvreau, Roland Giguère, Gérald Godin, Denis Vanier – mais aussi d’amis artistes, comme Alexis Martin, dont le poème traite de l’exode des Canadiens français, alors que la seule commande du spectacle a été adressée à Jean-Paul Daoust, qui signe J’ouvre. "Jean-Paul Daoust est spectaculaire. Pour moi, c’est un privilège de le côtoyer. Les prochaines années vont nous dévoiler qu’il est un grand poète qui va passer à l’histoire de la culture populaire comme Miron a pu le faire", affirme le comédien à la voix d’acier.

Travaillant depuis quelques années à différents projets avec le jazzman Benoit Charest, Pierre Lebeau a rappelé son complice afin de trouver de quoi parer musicalement les textes, sélectionnés avec amour. "Dans le milieu, les puristes disent que la poésie ne devrait pas être accompagnée, que la musique des mots devrait suffire. C’est un point de vue que je partage plus ou moins, surtout quand tu essaies de faire un spectacle plus populaire, qui rejoigne le plus grand spectre de gens. Ça me semble essentiel." Évolueront donc sur scène, aux côtés du performeur solide comme un roc, deux choristes et six musiciens qui interpréteront des airs de Philippe Sarde et Philip Glass auxquels s’ajoutent des compositions aux teintes jazzy de Charest et du pianiste Anthony Rozankovic, troisième principal actant du projet.

L’habillage scénique est complété par l’"illustration des poèmes": en trame de fond, des dessins de François Séguin sur écran géant; à l’avant-scène, des projections d’images tournées avec le comédien. "On a tenté d’entrer dans l’univers des poètes. Au bout du compte, c’est un spectacle relativement simple", remarque l’acteur, qui dit avoir fait le choix de se mettre les mots en bouche, sans toutefois nager dans une myriade de personnages. "Il n’y aura pas de combats d’épée ni de courses de voitures. Ça relève plus de l’émotion; je lis des poèmes, je placote un peu. C’est plus un travail d’agencement, de performance sur les textes qu’un travail de mise en scène."

Avant même qu’on lui pose la question, Pierre Lebeau s’explique sur le peu de présence féminine dans son choix de poètes. "C’est pas qu’il n’existe pas de beaux textes écrits par des femmes, mais ils contiennent des univers tellement personnels, intimes, que je ne peux pas les lire. C’est trop relié à un état de féminité, je n’aurais aucune crédibilité, aucune pertinence", insiste-t-il. La seule partition féminine sera conséquemment celle de Josée Yvon, incarnée par la voix préenregistrée de Pascale Montpetit.

Jonglant avec certaines appréhensions quant aux "préjugés défavorables à l’endroit de la poésie", Pierre Lebeau, en guise de conclusion, se rassure et convoque les spectateurs en y allant de cette image: "Assister à un spectacle de poésie, c’est comme assister à une exposition d’un peintre qui a une recherche picturale complexe; tu n’es pas obligé de tout comprendre. Il faut se laisser glisser dans cet univers et essayer de percevoir certaines choses. Il ne faut pas avoir un désir de volontarisme excessif, de vouloir tout comprendre, parce qu’on fait fausse route." Qu’on se le tienne pour dit.

Du 1er au 5 mai à 19h30
Au Théâtre du CNA
Voir calendrier Théâtre