Édouard Lock : La forêt des mal-aimés
Édouard Lock signe une pièce sombre où les belles sont de glace et les princes charmants, en quête de repères. Vision d’un romantisme en totale décadence.
Édouard Lock revisite Le Lac des cygnes et La Belle au bois dormant sur la musique de Tchaïkovski actualisée par deux compositeurs contemporains. Déconstruisant les histoires de ces ballets postromantiques, il en retient quelques éléments gestuels qui viennent ponctuellement adoucir et assouplir son style vif et incisif: la figure du corps de ballet, rendu ici à sa plus simple mais très efficace expression; et l’intensité des pas de deux qui se déroulaient dans les scènes de forêt, symbole de l’inconscient où grouillent les instincts et où se tapit le côté obscur de l’âme humaine.
Cette part d’ombre, le chorégraphe la met en scène avec l’aide des éclairages de John Munro, qui place les interprètes dans une semi-pénombre. Vêtus de noir ou de gris, ils se tiennent même parfois dans une semi-obscurité et la lumière qui les touche leur donne un teint blafard. Froideur en contraste total avec la musique, jouée en direct par des musiciens qui se fondent quasiment dans le rideau noir du fond de scène. On dirait une peinture de Bernard Buffet: les formes sont longues, le trait est dur et l’atmosphère générale dégage un sentiment de désolation. Amjad remonte des profondeurs de l’inconscient avec la lourdeur du doute, de l’ambivalence et avec l’énergie du désir contrarié.
Que reste-t-il de ces héros du 19e siècle et de leur combat entre le bien et le mal? Un prénom marocain aussi masculin que féminin; des femmes sexy aux allures de guerrières, anges exterminateurs ou cygnes agonisant dans une marée noire d’amère solitude; des hommes qui les contiennent et parfois les imitent, semblant préférer toutefois le commerce des leurs, comme dans cette magnifique valse qui nous offre une vision sublime de Trois Grâces au masculin. On ne trouve pourtant rien là de quoi réjouir les coeurs.
La danse est magnifique: virtuose, audacieuse, métissage savant de haute technicité et de gestes impromptus, jeux de mains évoquant l’émotion qui ne s’exprimera pas dans le reste du corps. Pris dans le carcan des pointes et de la vélocité extrême, le corps mécanique des danseuses – à quelques exceptions près – contraste avec la fluidité du mouvement qui peut courir le long de la colonne vertébrale des danseurs. Les projections sur trois écrans ronds suspendus à l’avant-scène habillent l’oeuvre tout en la ponctuant. Hélas, la structure globale manque encore de tenue et le temps s’éternise, nous gâchant la saveur de cette création qui appelle déjà à son adaptation cinématographique.
Supplémentaires les 11 et 12 mai
Au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts
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