Romeo Castellucci : L'éternel féminin
Scène

Romeo Castellucci : L’éternel féminin

Romeo Castellucci s’amène avec Hey Girl!, une oeuvre qui risque d’en surprendre plus d’un.

Dans le théâtre de l’inconscient que pratique Romeo Castellucci, le féminin a toujours joué un rôle primordial. Avec Hey Girl!, sa plus récente création, le metteur en scène italien entre dans le vif du sujet. "C’est vrai que j’ai beaucoup travaillé sur ce thème, mais pas vraiment d’un point de vue social ou symbolique. Cette fois, j’aborde le féminin comme une métaphore."

Selon le directeur de la Societas Raffaello Sanzio, la femme a le pouvoir de donner accès à la matière. "Où il y a une femme, il y a un corps. Alors que le masculin est traditionnellement associé à l’auteur, au verbe, donc au texte, le féminin est associé à la matière, au corps, donc au théâtre. Voilà pourquoi je préfère le féminin au masculin, la maternité à la paternité."

Ne parlez surtout pas de mimesis à Romeo Castellucci. Selon lui, le théâtre est, par définition, une porte vers l’inconnu. "Le théâtre est une forme d’art qui est capable de dépasser la réalité, de la suspendre, c’est une autre réalité, avec des lois différentes, des langages différents. Chaque fois, sur scène, il y a une naissance du langage, une découverte de celui-ci."

Dans Hey Girl!, Sylvia Costa est la femme blanche, jeune et ingénue, du moins en apparence. Sonia Beltran Napoles incarne quant à elle la femme noire, la plus mature des deux. Selon le metteur en scène, il s’agit d’une seule et même personne. "Je crois qu’il s’agit des deux côtés d’un même personnage. Comme la lune, qui a une face visible et une face cachée. C’est une manière d’illustrer la division, la fracture et la grande solitude qu’il y a dans le personnage, comme si elle arrivait à se regarder elle-même avec une distance."

POURFENDRE LES SYMBOLES

Après s’être extirpée d’une chrysalide visqueuse, cette femme, une nouvelle Ève, se réinvente et se redéfinit. Sous nos yeux, elle entre en lutte avec le langage et les symboles. Jeanne d’Arc, Juliette, la Vierge… les plus contraignants archétypes féminins sont évoqués, puis rejetés: "Bien sûr, il s’agit d’un travail avec les symboles, mais j’ajouterais aussi contre les symboles. Le symbole même est vécu comme un ennemi."

C’est dans la rue, en observant une bande de jeunes filles à un arrêt de bus, que Romeo Castellucci a trouvé l’inspiration pour son spectacle. Le metteur en scène a été heurté par le silence et la solitude, choqué par le mutisme et l’anonymat qui régnaient entre les fillettes qui s’interpellaient en criant "Hey Girl!". "Il y a actuellement dans nos villes un anonymat, une solitude et une mélancolie essentiellement féminins. Le sujet principal de Hey Girl!, c’est la solitude, l’impossibilité d’avoir un rapport positif avec les autres, la cité, la communauté."

Le metteur en scène nous prévient que ce nouveau spectacle est très différent de ceux qu’il a présentés précédemment. "Orestea et Genesi étaient de grandes machines, Hey Girl! est une toute petite forme, un spectacle où il n’y a rien d’épique, où il n’y a pas la grandeur de la tragédie. Il a donc fallu retrouver une certaine gloire dans les gestes de chaque jour. Faire en sorte que des gestes banals deviennent une forme de prière, qu’ils deviennent historiques ou mythologiques."

À un moment charnière du spectacle, des hommes (des figurants engagés là où le spectacle est présenté) débarquent en meute pour se livrer à une bastonnade. Romeo Castellucci insiste pour dire qu’il ne s’agit pas d’une dénonciation des gestes posés par certains hommes contre la femme. "Ce sont des ombres, des silhouettes noires, une présence anonyme, un choeur qui symbolise la cité. Jusqu’à leur arrivée, le spectacle se déroule dans l’intimité du personnage. Quand il y a cette foule qui débarque, tout change radicalement."

Les 8 juin à 20h et 9 juin à 16 h
Au Grand Théâtre
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C.V.

Dans l’espace théâtral européen, la démarche de Romeo Castellucci est franchement incomparable. En 1981, à Cesena en Italie, Claudia et Romeo Castellucci, frère et soeur, et Chiara et Paolo Guidi, aussi frère et soeur, fondent la Socìetas Raffaello Sanzio. Depuis, le rayonnement de la compagnie n’a cessé de croître; les spectacles, créations et relectures, presque toujours controversés, trouvent des échos aux quatre coins du monde. Les Québécois peuvent d’ailleurs se targuer d’avoir reconnu le talent de Romeo Castellucci avant les Français. En effet, en 1997, quand Orestea a été invité au FTA, le créateur italien était encore inconnu dans l’Hexagone. Le théâtre de la Socìetas Raffaello Sanzio en est un des extrêmes, de la marge, de la mise à l’épreuve. Presque chaque fois, toutes les expressions artistiques y sont conviées, tous les sens y sont sollicités. Flirtant sérieusement avec les arts visuels et la performance, il magnifie le visuel et le sonore autant qu’il récuse l’hégémonie de la littérature. (C.S.-P.)