Frédéric Dubois : Ionesco revisité
Frédéric Dubois et sa joyeuse bande des Fonds de Tiroirs célèbrent cette année les 10 ans d’existence de la compagnie. Pour l’occasion, la troupe retourne à sa «pièce fondatrice», La Cantatrice chauve.
La présentation de la pièce de Ionesco par le Théâtre des Fonds de Tiroirs avait causé toute une surprise à l’été 97, révélant, dans une petite salle de Cap-Rouge, une nouvelle compagnie audacieuse, qui se signalerait rapidement par ses spectacles ludiques et pleins de rigueur. Le TFT, depuis 10 ans, ne cesse de surprendre, abordant avec fougue et imagination des textes souvent difficiles, de grands auteurs. Outre Ionesco, l’équipe a exploré Ducharme, Mrozek, Queneau, a osé Larry Tremblay, puis le fameux Vie et mort du Roi boiteux, de Jean-Pierre Ronfard, avant de visiter Neil LaBute l’hiver dernier. Dans la bouche du metteur en scène et directeur artistique de la compagnie, les mêmes mots qu’au tout début. L’essentiel: la force du texte et le plaisir de la rencontre entre auteur, artistes et public.
À l’époque de la fondation du TFT, Frédéric Dubois est au Conservatoire; les autres membres passeront dans les années suivantes par différentes écoles de théâtre. Le but? Se donner les moyens de présenter d’abord un, puis des spectacles, pendant l’été. Première pièce à l’affiche: La Cantatrice chauve, jalon du théâtre de l’absurde qui présentait à un public ébahi, lors de sa création en 1950, la soirée étrange de deux couples anglais, les Smith et les Martin, dont la conversation navigue d’une banalité à l’autre, dans un enchaînement mécanique à la logique déréglée. Pourquoi cette pièce difficile? "Quand t’as 20 ans, jouer La Cantatrice chauve, c’est un acte revendicateur, expose Frédéric Dubois. Y a quelque chose de baveux dans La Cantatrice; à 20 ans, tu trouves là une manière de résister, de prendre position."
La réaction est enthousiaste. Surpris? "On a toujours été très heureux de cet accueil-là, et oui, ça nous a toujours surpris. La semaine où t’accroches des draps dans un club vidéo désaffecté [Tango, été 2000], tu y crois pas qu’y a des gens qui vont venir te voir et qui vont aimer ça: c’est presque impossible ce que t’es en train de faire. On est très touchés par cette réponse-là. On a vraiment un public fidèle: c’est super nourrissant."
Aujourd’hui, la reprise permet au TFT de mesurer le chemin parcouru. "Le plaisir de le refaire, c’est de pouvoir mesurer, voir où on en est. C’est intéressant de poursuivre le dialogue avec les acteurs, dont plusieurs reprennent ces rôles-là. Avec 10 ans de métier et de vie, qu’est-ce qu’on lit maintenant dans ce texte? Pourquoi cette année, en le travaillant, c’est les silences qui m’ont interpellé, alors que c’est une pièce de mots? Ça a amené toute une réflexion sur qui est la cantatrice chauve. On en est venus à l’idée qu’elle est une voix en dedans de nous, une voix qu’on étouffe, que les impératifs de la société nous obligent à retenir, mais qui est toujours là, omniprésente. De là est née l’idée de donner à ces silences, et à cette cantatrice, un visage, une voix. Est-ce que c’est de l’angoisse, de la peur, des désirs inassouvis? … Cette voix-là ne peut pas avoir juste un visage: c’est la voix de tout le monde. Ionesco disait qu’on se retrouve tous dans l’angoisse et dans la solitude; c’est le seul endroit où les humains peuvent absolument se reconnaître. J’ai donc voulu multiplier cette voix-là. Chaque soir, un invité du monde musical ou théâtral va être sur scène; chaque soir, on va avoir un spectacle différent." Autre source d’imprévu: La leçon, en 2e partie, jouée chaque soir par un comédien invité et deux comédiens de La Cantatrice… dont les noms seront chaque fois pigés au hasard.
"On travaille très fort, parce que ça ne se contente pas d’un minimum, Ionesco. C’est une machine impitoyable. Dans La Cantatrice chauve, tout tourne à vide, tout ce qu’on tricote se détricote, tout le temps. Si comme public t’embarques là-dedans, c’est un voyage passionnant. Et pour un metteur en scène, c’est extraordinaire: c’est vraiment un espace de liberté unique. Ça va être une fête à tous les soirs!"
Et la suite? "L’après Vie et mort du Roi boiteux a été dur. Après ce trip extraordinaire, ultime, presque, a suivi une espèce de dépression qui nous a amenés à faire un bilan. On a fait notre plan de réflexion sur l’international, on a commencé à faire de la création. Notre 10e anniversaire, c’est la fin du bilan. On a des très beaux projets pour l’année prochaine; je suis sur-enchanté de ce qu’on est en train de faire. J’ai vraiment l’impression de me réenraciner, de retomber sur mes pattes. Là, on est repartis. Si ça a été difficile par moments, ça fait juste nous rappeler à quel point y a jamais rien de gagné. Que c’est dans cet esprit-là qu’on va pouvoir toujours trouver la véritable liberté."
Jusqu’au 14 juillet à 20h
Au Théâtre Petit Champlain
Voir calendrier Théâtre
Soirée bénéfice
Le 21 juin à 17h
Réservation: 692-2643