Éric Jean : Maison hantée
Éric Jean amorce la saison itinérante du Quat’Sous en reprenant Hippocampe, un spectacle qui a laissé des images fortes à ceux qui ont eu la chance de le voir il y a cinq ans.
Premier spectacle de la saison itinérante du Quat’Sous, Hippocampe raconte l’histoire d’un lieu, de sa mémoire, et de ceux qui y ont vécu. Si ce spectacle est présenté au Prospero au moment même où les murs chargés d’histoire du théâtre de l’avenue des Pins (autrefois synagogue) doivent être démolis, ce n’est pas tout à fait un hasard. En fait, il y a un certain temps qu’Éric Jean espérait redonner vie à ce spectacle né en 2002 d’une carte blanche que lui avait tendue Wajdi Mouawad: "Nous avons répété Hippocampe pendant dix semaines, dans le décor, sur la scène du Quat’Sous. Quand il a été question de quitter les lieux, pour permettre la reconstruction, je me suis dit que ce serait bien de partir avec un morceau du Quat’Sous et de commencer la période d’itinérance avec lui."
Chez les créateurs d’Hippocampe, Éric Jean et Pascal Brullemans, il restait un immense désir d’approfondir la dramaturgie de la pièce, d’en peaufiner l’écriture. "J’avais envie qu’on s’offre ce luxe de pousser Hippocampe plus loin, de le retravailler. C’est l’un des spectacles dont je suis le plus fier à ce jour, mais Pascal et moi n’étions pas pleinement satisfaits du texte." En commençant à répéter le spectacle, il y a quelques mois, Éric Jean a compris pourquoi il avait eu l’instinct de reprendre Hippocampe: "Je me suis rendu compte qu’il y avait plusieurs perceptions différentes du spectacle, que tout ça était très riche. Il y a tellement d’interprétations possibles. Même si c’est maintenant plus limpide qu’à l’époque, il y a encore des gens qui vont faire des liens qui leur seront propres."
Dans le travail d’Éric Jean, une démarche fondée sur l’improvisation, la spontanéité, l’inconscient et l’irrationnel, il y a pour ainsi dire un paradoxe. Comment arriver à construire un spectacle équilibré et cohérent quand son souhait le plus cher est de rompre totalement avec son cerveau gauche? "Il faut trouver le bon dosage, parce que si tu ramènes trop de rationnel tu peux tuer certaines choses. Pour fonctionner de la sorte, il faut avoir une équipe qui te fait vraiment confiance. Des fois je disais aux acteurs d’Hippocampe: "Moi non plus, je ne sais pas ce que ça veut dire, mais faites-moi confiance, c’est intéressant, quelque chose va apparaître." C’est plus tard qu’ils comprenaient pourquoi j’avais gardé ce petit moment qui au départ avait l’air complètement déconnecté du reste."
JE ME SOUVIENS
La preuve que les acteurs d’Éric Jean lui font confiance, c’est qu’ils ont tous accepté de replonger dans les eaux troubles d’Hippocampe, une fresque surréaliste où les souvenirs resurgissent et circulent (de 1966 à 1999) dans la plus grande liberté, une quête d’identité dont la nature fantastique n’est pas sans évoquer le cinéma de Lynch. Au coeur de cette histoire évanescente, il y a avant tout des personnages: Carl (Dominic Anctil), un jeune homme qui emménage dans un appartement truffé de fantômes, un demi sous-sol où il se réveille tous les matins vêtu d’une robe chinoise; Suzanne (Muriel Dutil et Anne-Sylvie Gosselin), sa mère, une femme amnésique et narcoleptique qui est sur le point de renouer avec son passé; Adam (Sacha Samar), le mystérieux propriétaire des lieux; Mélissa (Dominique Quesnel), une attachante prostituée; et finalement Laura (Isabelle Lamontagne) et Romuald (Gaétan Nadeau), deux employés du bar clandestin qui occupait les lieux en 1966.
Au Québec, ce n’est pas tous les jours qu’on ranime un spectacle qui "dort" depuis cinq ans. Pourtant, selon Éric Jean, tout ça s’est fait naturellement: "En écoutant la captation vidéo, on s’est tout de suite retrouvé dans l’ambiance du spectacle. On s’est mis à parler, à débattre de ce qu’il fallait modifier. C’est sûr que moi et Pascal, on en avait beaucoup parlé, on savait ce qu’on voulait couper, améliorer, clarifier… Il faut aussi dire qu’on a bénéficié de tous les commentaires que des spectateurs nous avaient faits depuis la création." En somme, Éric Jean et son équipe nous offrent une version éprouvée d’Hippocampe. Cette fois, pas question de rater le bateau!
Du 28 août au 22 septembre
Au Théâtre Prospero
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ACCLAME PAR LA CRITIQUE
Créée au Quat’Sous en 2002, Hippocampe était la première des créations d’Éric Jean et Pascal Brullemans à être présentée sur la scène d’un théâtre institutionnel. Singulier et pénétrant, le spectacle avait mérité le Prix de la critique, une récompense décernée chaque année par les membres, cette fois-ci montréalais, de l’Association québécoise des critiques de théâtre (AQCT). Dans les pages de Voir, Catherine Hébert avait écrit: "Éric Jean et Pascal Brullemans nous entraînent dans leur sillage entre les murs d’un appartement où des fantômes remontent à la surface, par crainte de périr noyés dans l’oubli. Une expérience théâtrale qui interroge la mémoire et caresse les sens. […] Après Marianne Vague et Camélias, le tandem accouche avec Hippocampe de sa création la plus aboutie. […] Une fascinante excursion dans le labyrinthe de la mémoire en compagnie de comédiens inspirés."