Erwin Weche : Avoir du chien
Scène

Erwin Weche : Avoir du chien

Erwin Weche trouve son premier grand rôle au théâtre avec Moi chien créole, une production du Théâtre du Grand Jour.

Quatre ans après sa sortie de l’École nationale de théâtre, Erwin Weche décroche un premier grand rôle sur les planches. Sous la direction de Sylvain Bélanger, directeur artistique du Théâtre du Grand Jour, il interprète, en solo, Moi chien créole, premier texte pour le théâtre d’un travailleur social martiniquais, Bernard Lagier.

Première coproduction internationale du Grand Jour, la compagnie qui nous a notamment donné Cette fille-là, le solo de Joan MacLeod défendu avec conviction par Sophie Cadieux, Moi chien créole a été créé en mars dernier au Centre martiniquais d’action culturelle de Fort-de-France. Le spectacle a ensuite été diffusé au Théâtre Sorano à Toulouse, à la Comédie-Française à Paris et à l’Artchipel, Scène nationale de la Guadeloupe. Le voici enfin à Montréal, avant de se retrouver au Théâtre français du Centre national des Arts, à Ottawa, en novembre prochain.

LE MEILLEUR AMI DE L’HOMME

Un chien, reclus dans un coin sombre de la place publique, observe la lune se lever sur une autre nuit où il devra accomplir son noble devoir: insuffler à ses semblables, les hommes, le pouvoir d’être libres et l’amour de se raconter. Ce chien créole, un vagabond maigre et famélique aux poils ras et hirsutes, métaphore de l’errance et de l’exclusion, c’est le personnage qu’Erwin Weche a la délicate tâche d’incarner: "Quand je fantasmais à l’idée de faire un one man show, je m’imaginais jouer plusieurs personnages, plus pour me payer un trip que pour faire étalage de mon talent. Ce qui est bien avec le personnage du chien, c’est qu’il me permet de faire ça parce que son quotidien, c’est de se nourrir la nuit des rêves et des révoltes des marginaux, de leur donner des mots, leur prêter son corps."

Cette idée, celle d’un chien qui s’abreuve des malheurs que les hommes déversent (par les yeux, les pores de la peau et la bouche) pour leur servir de porte-voix, c’est probablement la plus belle de tout le texte de Bernard Lagier. Le Martiniquais, qui travaille à la réinsertion sociale de jeunes décrocheurs par les arts et la musique, espère, comme l’équipe du Théâtre du Grand Jour, rallier le théâtre au pouvoir des citoyens. Pour un artiste qui désire tendre un miroir à la race humaine, quoi de mieux que de donner la parole au meilleur ami de l’homme, un animal en l’occurrence particulièrement lucide.

Erwin Weche précise que le chien n’est pas perçu de la même manière chez nous que dans les Antilles: "En Amérique du Nord, le chien est le meilleur ami de l’homme; dans les Antilles, ce n’est pas pareil. Le chien créole est un chien bâtard, un chien errant à qui certains attribuent des vertus diaboliques. Dans la pièce, le chien est le miroir de l’homme, son frère, il se pose en témoin de la société antillaise mais aussi et surtout de la société au sens large. J’ai l’impression que la pièce suggère que nommer les choses, c’est un peu commencer à les changer."

DONNER CORPS AU PERSONNAGE

Publié chez Lansman Éditeur, le texte, auquel Olivier Kemeid a ajouté son grain de sel, est un alliage de français et de créole. Pour Erwin Weche, qui se définit comme un Québécois d’origine haïtienne, même s’il est né et qu’il a grandi au Québec, jouer en créole revêt une signification particulière: "J’ai grandi au son de cette langue. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours compris le créole, mais je ne l’ai jamais parlé. C’est une chance extraordinaire que de pouvoir parler et incarner cette langue sur scène. C’est comme si je me rapprochais de quelque chose qui est inscrit en moi. D’ailleurs, maintenant, je fais plus souvent l’effort de parler créole dans la vie de tous les jours."

Le défi, quand on joue un chien qui a une propension pour les envolées lyriques, c’est de trouver le ton. "Quand j’ai lu le texte pour la première fois, j’ai ressenti mais je n’ai rien compris. J’avais l’impression d’être devant un gouffre immense. Je me suis demandé: par où commencer, par où attraper ça? Le défi, pour moi, c’était d’incarner le texte, de me l’approprier pour qu’il parvienne de façon concrète au public, que le spectateur puisse suivre une histoire. Le gros du travail a donc été de créer, à partir des indices que donne le texte, une situation, un cadre. C’est tellement ouvert qu’à un moment donné, il faut faire des choix. Petit à petit, la situation s’est imposée, le corps du personnage est apparu." Selon l’acteur, de cet ancrage dans le réel il ne faut pas révéler les détails, cela risquerait de nuire au plaisir de la représentation. Pour en savoir plus, il faut aller à la rencontre du chien créole.

Du 29 août au 15 septembre
À l’Espace Libre
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