Éric Vigner : Ouvre de mémoire
Éric Vigner, qui a fait entrer Marguerite Duras au répertoire de la Comédie-Française, revisite sa mise en scène de Savannah Bay avec des créateurs québécois.
Le Français Éric Vigner en est à sa deuxième visite au Théâtre Espace Go. En effet, il y a cinq ans, le directeur du Centre national dramatique de Bretagne dévoilait aux Montréalais sa mise en scène de La Bête dans la jungle, une pièce de Marguerite Duras inspirée des oeuvres de James Lord et Henry James. Ces jours-ci, l’homme revisite, avec des actrices et des concepteurs québécois, un spectacle qu’il a créé en 2002 à la Comédie-Française.
En 1993, Éric Vigner, 33 ans, porte à la scène La Pluie d’été, un livre de Duras. Après avoir assisté au spectacle, la femme de lettres âgée de 78 ans, enchantée, octroie au metteur en scène les droits de tous les textes qu’il souhaiterait monter. Dire de cette rencontre qu’elle a été déterminante serait un euphémisme. Vigner préfère le terme "reconnaissance": "J’étais au début de mon travail de metteur en scène. Le spectacle était joyeux et émouvant, et Duras s’y est reconnue, complètement. J’ai eu beaucoup de chance qu’elle cautionne mon travail, mais au-delà du côté anecdotique de tout ça, ce qui est important, c’est que j’ai rencontré une écriture dramatique qui était nouvelle, encore à explorer et qui me donnait beaucoup de pistes pour inventer un théâtre du XXIe siècle."
Entre l’auteure et le metteur en scène s’amorce alors un processus de transmission auquel même la mort n’a pas su mettre un terme: "Au départ, je n’étais pas un fan de cette écriture, j’étais un peu comme tout le monde, j’avais les mêmes réticences, les mêmes préjugés. Et puis ma rencontre avec cette oeuvre a jeté les bases du théâtre que j’avais envie de faire. Duras, pour moi, c’est une source de tous les instants, une écriture et un processus d’écriture qui m’aident à mettre en scène."
ENTRER DANS L’HISTOIRE
En 2002, Éric Vigner dirige Catherine Samie et Catherine Hiegel dans Savannah Bay, un spectacle d’autant plus marquant qu’il correspond à l’entrée de Marguerite Duras au répertoire de la Comédie-Française. Pour le metteur en scène, il était temps que la vénérable institution inscrive Marguerite Duras, dont le théâtre a souvent été boudé, au panthéon des plus grands auteurs dramatiques français. "C’était très important pour Duras d’être reconnu au plan de la société française. Elle a mis 60 ans de sa vie pour devenir un auteur populaire. Une seule chose n’avait pas encore été reconnue au plan institutionnel, et c’était son écriture dramatique. La faire entrer au répertoire de la Comédie-Française, c’était une promesse que je m’étais faite. Le faire avec Savannah Bay n’est pas innocent puisque c’est la pièce qui parle le plus explicitement de ce qu’est le théâtre, la mémoire du théâtre."
Pour tenir les rôles de Savannah Bay, Ginette Noiseux, directrice artistique du Théâtre Espace Go, a proposé à Éric Vigner des comédiennes qu’elle considérait à la hauteur: Françoise Faucher, qui rêvait de jouer Madeleine depuis des années, et Marie-France Lambert, qui incarne la jeune femme. Le metteur en scène semble apprécier l’expérience pas banale qu’il est en train de vivre. "Jusqu’ici ça se passe bien. Je trouve ça très bien de faire le spectacle avec deux actrices québécoises. C’est la première fois que je me prête à cet exercice. C’est à la fois complètement la même mise en scène et en même temps les actrices, qui sont de nature différente, se l’approprient." Le moins que l’on puisse dire, c’est que la chimie est bonne entre Ginette Noiseux et Éric Vigner: "On a décidé qu’on allait travailler ensemble, faire des coproductions, des échanges. Je pense qu’il faut le faire parce que ce n’est pas si fréquent, les endroits dans le monde où on a vraiment envie d’être et de travailler."
Metteur en scène au théâtre et à l’opéra, plasticien, scénographe et acteur, Éric Vigner a une approche singulière de la scène: "Une grosse partie de mon travail se fait sur l’espace, sur les images, sur le son, sur les signes qui sont développés dans l’espace." Sous la houlette de Vigner, l’anecdote qui sous-tend Savannah Bay prend, ou plutôt retrouve, des proportions tragiques: "On peut très bien traiter la pièce comme étant l’histoire d’une vieille femme qui a un peu perdu la boule et qui se rappelle sa fille qui s’est noyée. Or, on n’est pas du tout dans ce processus, on est dans un processus actif, un processus où les choses ne peuvent être dites qu’au théâtre, ici et maintenant. L’espace dans lequel Savannah Bay se déroule, c’est celui de la tragédie, pas celui du drame. C’est pour ça qu’il faut des actrices puissantes."
Du 4 au 29 septembre
Au Théâtre Espace Go
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