Julie Lachance et Pierrette Venne : Les yeux du coeur
Julie Lachance et Pierrette Venne signent Celui qui a des yeux, un cirque d’auteur où les disciplines fusionnent et où la performance est au service d’une histoire.
Issue du théâtre gestuel et masqué, Pierrette Venne enseigne à l’École nationale de cirque (ÉNC) depuis sa fondation en 1981. Issue du milieu de la danse, Julie Lachance est embauchée à l’ÉNC cinq ans plus tard. D’une manière ou d’une autre, elles ont toutes deux frayé avec le Cirque du Soleil et autres grandes institutions circassiennes d’ici et d’ailleurs. Également metteures en scène, elles ont dirigé ensemble bon nombre de spectacles où plusieurs dizaines d’artistes réalisaient prouesse sur prouesse.
En 2003, elles décident d’accomplir un vieux rêve en fondant les Productions à Trois Têtes. Lou Chartrand, collaboratrice de longue date de plusieurs grands noms de la musique, complète le triumvirat en apportant son expérience de directrice de production et de tournée. "Notre défi était d’explorer un cirque beaucoup plus intimiste et de nous engager sur la voie d’un cirque d’auteur, explique Pierrette Venne. C’est-à-dire de travailler l’écriture, vraiment, avec un scénario basé sur un personnage principal et des disciplines artistiques qui sont intégrées pour servir le propos."
"Habituellement, on choisit tels artistes pour effectuer tels numéros et on brode autour une trame narrative, souligne Julie Lachance. Cette fois, on a créé les numéros en fonction de l’histoire. Du coup, pour que ça serve vraiment le propos, il a parfois fallu transformer des appareils acrobatiques. Ça a été un travail de longue haleine, mais on attendait ça depuis tellement longtemps qu’on a pris le temps."
Au début, les deux complices s’enferment pour écrire Celui qui a des yeux, un spectacle pour seulement quatre personnages. Rapidement, elles choisissent les artistes pour les incarner et tester leurs idées. Elles les veulent talentueux et polyvalents, car ils doivent se livrer à diverses acrobaties – tissus aériens, cerceau, équilibre sur cannes, contorsions et autres -, mais aussi savoir danser et traduire des émotions sans parler. "Les rares textes sont en voix off, commente Julie Lachance. Ils correspondent à une sorte de monologue intérieur qui ajoute de la poésie au spectacle et aide à entrer dans l’univers du personnage principal."
LA FORCE DES IMAGES
Interprété par Rénald Laurin, le héros est un photographe rendu aveugle par une éclipse. Six ans plus tard, il s’apprête, anxieux, à retourner sur les lieux du drame. Au terme de la nuit précédant son départ, une nuit blanche où il devra confronter ses souvenirs et ses démons, l’homme posera un nouveau regard sur lui-même et sur sa vie. Sur scène, Anthony Venisse et Olaf Triebel incarnent des alter ego, tandis que Julie Choquette interprète la Femme, auréolée de mystère. Tous évoluent dans une scénographie où Pierre Labonté a veillé à ce que les éléments se transforment pour devenir des appareils acrobatiques. Chaque mouvement est porteur de sens.
"Rien n’est intégré juste pour faire joli, insiste Pierrette Venne. Ça donne une esthétique particulière. C’est comme un petit écrin. On est habitué à des spectacles à grand déploiement avec beaucoup de choses et là, on dirait qu’on ouvre une petite boîte et que c’est là que ça vit. Pour Rénald, qui vient du clown, ça a été un travail très intéressant sur l’économie de mouvement. En ce qui concerne l’écriture, ça a été très exigeant de réussir à faire passer toutes sortes de détails sans utiliser la parole, de tout transposer en images."
Profitant de la richesse des possibilités visuelles offertes par un personnage photographe, les deux auteures utilisent la baie vitrée de son appartement comme surface de projection pour toutes sortes d’images. Cela leur permet de jouer sur la notion d’espace et de temps, renforçant l’intensité dramatique des éclairages de Bruno Rafie et de la trame sonore de Jean-Sébastien Cyr. Ainsi, Celui qui a des yeux capte son public par le caractère émouvant de l’histoire qu’il raconte et l’émerveille par la poésie d’un cirque très théâtralisé.
"Ça correspond à un désir d’ouvrir une nouvelle voie dans la recherche en création, soutient Julie Lachance. Au Québec, le cirque vient des arts de la rue. Étant donné qu’on n’a pas vraiment de tradition, chacun y va en fonction de ses préférences, de son bagage et de son expérience. Ça va de soi, ici, de faire le cirque comme ça."
Du 6 au 8 septembre
À la TOHU