Le Capitaine Fracasse : Château fort
Les Têtes heureuses s’offraient Le Capitaine Fracasse en guise de gâteau pour le 25e anniversaire de leur théâtre chicoutimien. Entretien avec le fébrile Rodrigue Villeneuve qui reprend la pièce à Ottawa, dans une version revue et corrigée.
Le Capitaine Fracasse de Théophile Gautier ne s’inscrit pas théoriquement dans ce que les Têtes heureuses ont l’habitude de monter. Et c’est ce qui en a fait tout l’attrait pour le directeur artistique Rodrigue Villeneuve et son équipe. "D’autant plus que c’est un magnifique roman sur le théâtre. C’était donc une façon large de célébrer", lance d’entrée de jeu le principal intéressé.
Les adaptations scéniques existantes le faisant sourciller, Rodrigue Villeneuve a choisi d’adapter lui-même le roman de près de 600 pages. Projet fou que celui-ci! C’est qu’une année entière aurait été nécessaire à cette tâche colossale. Au lieu de cela, l’homme de théâtre arrivait chaque matin auprès de ses 11 comédiens avec une scène écrite la veille, jusqu’au jour de la première où ils ont constaté que la pièce faisait plus de quatre heures! "Le lendemain, on enlevait une heure! Fracasse raconte certes beaucoup d’aventures, mais ça en a été toute une de s’y enfoncer!" ricane-t-il.
Jeter la loupe sur cette oeuvre du XIXe siècle lui aura permis en outre de surligner les revers sombres de ce roman rangé au rayon enfants. "Quand on le lit attentivement, on se rend compte que c’est autrement plus complexe, ambigu et retors que l’on ne le croyait. Ça raconte une histoire fascinante, avec des rebondissements, des combats, du théâtre dans le théâtre. J’ai bousculé mes certitudes en découvrant une oeuvre considérable, immense, dont la langue est magique, et en prenant conscience que Théophile Gautier n’était pas un auteur pour la jeunesse."
Paris sous Louis XIII: une nuit d’orage, un château en ruines… Le jeune baron Sicognac offre l’hospitalité à une troupe de comédiens en mal d’un toit pour la nuit. Il repartira avec eux au lendemain et mettra le costume du frivole Capitaine Fracasse, ce qui entraînera une série d’événements: amours héroïques, duels entre aspirants, coups du destin et de théâtre. Le tout dans la plus pure tradition de la commedia dell’arte et des combats de cape et d’épée. Des professionnels venus de France dans les deux domaines sont d’ailleurs intervenus auprès de l’équipe de production par souci d’authenticité.
À la conclusion "Walt Disney" du roman, Rodrigue Villeneuve a préféré celle que Théophile Gautier se destinait à écrire… "Cette histoire mènerait fatalement à une fin tragique dans sa logique. Mais Théophile, qui l’écrivait alors sous forme de roman-feuilleton, a été obligé par son éditeur à faire une fin positive. Or, on connaît celle qu’il avait imaginée grâce aux lettres de sa fille qui révèlent ses intentions premières."
C’est donc vers les secrets, les étrangetés et les incohérences du texte qu’il a orienté sa version: "C’est la lecture d’un homme, d’un metteur en scène de 60 ans, aujourd’hui en 2007. C’est donc une lecture très personnelle qui met l’accent sur la fragilité, les énigmes, les mystères, les obscurités. C’est par toutes les interstices qu’on attrape quelque chose d’essentiel."
Fort d’une quinzaine de représentations dans leur contrée saguenéenne, les Têtes heureuses ont complètement revu le spectacle avant sa venue au Festival Zones Théâtrales d’Ottawa. "Je n’ai jamais eu l’occasion dans ma carrière d’avoir le luxe de retravailler un spectacle. Alors, on l’a resserré, on a établi plus clairement certains liens, on a peaufiné", conclut-il, la paix dans la voix.
Les 7 et 8 septembre à 20h
À la Salle académique de l’Université d’Ottawa
Dans le cadre du Festival Zones Théâtrales