Le Chien : La rage aux dents
La pièce-phare de la francophonie ontarienne Le Chien, de Jean Marc Dalpé, ouvre avec véhémence la deuxième édition du Festival Zones Théâtrales. Entretien avec son auteur et le metteur en scène Joël Beddows.
La figure montante du théâtre franco-ontarien, le metteur en scène Joël Beddows, n’avait que 18 ans lorsqu’il vécut un réel "choc esthétique" devant la création du Chien en 1987 au Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO) de Sudbury, dans une mise en scène de Brigitte Haentjens et mettant en vedette un certain Roy Dupuis. L’année suivante, cette première pièce solo de Jean Marc Dalpé gagnait le Prix littéraire du Gouverneur général et était reconnue de toutes parts comme un point tournant pour le théâtre franco-ontarien. "On a vu à travers Le Chien la double naissance d’un dramaturge autonome et d’une metteure en scène avec une griffe forte", concède Joël Beddows, qui se voit confier par le TNO, 20 ans plus tard, la relecture de cette "tragédie familiale" qui n’a pas vieilli d’un poil.
Nord de l’Ontario. Jay (Marc Bélanger) retourne sur la terre familiale après sept folles années d’errance. Accueilli par les aboiements d’un chien fou qui rage, il y confronte ce père hostile (Sylvain Massé) dont le mal de vivre a contaminé la vie de sa mère (Annick Léger), de sa soeur (Manon St-Jules), en plus de la sienne. Il veut en finir.
Se déroulant en une soirée, la pièce est entrecoupée de souvenirs du passé, des rappels de la veille, ainsi que d’échanges avec le fantôme du grand-père (Aubert Pallascio).
"Ce drame sur la pauvreté d’une région rurale en déclin porte toujours aujourd’hui, acquiesce le metteur en scène. C’est comme si Dalpé avait vu ce qui allait venir: aujourd’hui, les régions se vident faute de stabilité économique. Mais c’est aussi devenu une pièce de répertoire à cause de sa forme, de l’intelligence de sa construction et de son traitement du temps".
Rencontré à quelques jours de la première, Jean Marc Dalpé se remémore le processus d’écriture: "J’ai pensé longtemps que Le Chien serait construite classiquement, dans un ordre chronologique, un seul lieu. Puis, une seconde version s’est imposée: ça devait se passer à travers le filtre de la mémoire émotive de Jay. Tout s’est alors éclairé: je pouvais sauter d’un moment à l’autre, jouer avec la chronologie. Ça a alors été comme un gros casse-tête avec les monologues et les scènes déjà écrits", relate l’auteur pour qui un autre moment fort de l’écriture fut lorsqu’il entendit un chien aboyer. "C’est devenu l’image centrale de la pièce qui m’a permis de commencer à organiser les choses autrement", révèle-t-il.
LE MORDANT DE L’AUTEUR
Si cette pièce a été emblématique du nouveau théâtre professionnel franco-ontarien – après la période des créations collectives identitaires -, elle façonna aussi le style d’un auteur qui allait devenir considérable pour ses pièces de théâtre (Trick or treat, Lucky Lady) son premier roman Un vent se lève qui éparpille (aussi gagnant d’un Prix GG) et sa série télévisée Temps dur. "Les créations collectives comme Hawkesbury Blues (1982) ou Nickel (1984) exprimaient une urgence dans notre volonté de faire un théâtre populaire qui amenait les Franco-Ontariens sur scène. Le Chien était dans la suite des choses avec la classe ouvrière, mais elle marqua aussi une rupture parce que j’ai osé porter un regard peut-être plus critique, plus dur. Des batailles avaient alors été gagnées, nos institutions avaient été fondées et fonctionnaient, c’était une période qui se terminait. Je pense que Le Chien est arrivée au moment où les choses allaient se bousculer, changer", concède Dalpé.
Ce tournant nous amenait ainsi au coeur de l’univers "dalpien" avec son langage dru, son ton décapant, ses personnages d’écorchés vifs et de marginaux, sa violence sourde. "C’est une pièce violente, conçoit Joël Beddows. Elle explore magistralement le paradoxe amoureux entre deux hommes du "je t’aime, je te frappe". L’amour fraternel s’exprime souvent par la violence, c’est un fait connu: deux frères qui s’aiment se buchent dedans! La pièce creuse cette ambivalence qui existe depuis toujours et qui n’est pas unique au nord de l’Ontario", conclut le metteur en scène.
Après l’ouverture du Festival Zones Théâtrales, la production prendra l’affiche à la Nouvelle Scène du 19 au 22 septembre, pour ensuite se transporter au TNO de Sudbury au mois d’octobre.
Les 6 et 7 septembre à 20h
Au Studio du Centre national des Arts
Dans le cadre du Festival Zones Théâtrales
DALPE EN TROIS TEMPS
En plus de la production anniversaire du Chien, le Festival Zones Théâtrales met en lumière le talent de Jean Marc Dalpé sur d’autres fronts. Celui qui agita d’abord la plume comme poète et qui a depuis oeuvré comme comédien, dramaturge et scénariste exhibera aussi ses habiletés de traducteur dans Trains fantômes, une pièce de l’Ontarien Mansel Robinson, avec qui il a des atomes crochus. "Mansel est d’abord un poète, il a une sensibilité au plan du rythme, de la langue. Il y a l’expérience du Nord, les personnages du monde ouvrier aussi… Quand j’ai lu ça, j’ai fait: "C’est pour moi!"" s’exclame Dalpé. La production du Théâtre Triangle vital, Trains fantômes, avec Frédéric Blanchette et Aymar en musique, sera présentée au FZT les 13 et 14 septembre.
Après avoir traduit Ghost Trains de Robinson à la demande du metteur en scène André Perrier, Dalpé eut envie de poursuivre cette incursion littéraire en traduisant Spitting Slag et en proposant à Geneviève Pineault du TNO d’y jouer le rôle solo – marquant ainsi son retour sur scène. Après une mise en lecture proposée dans le cadre de FZT le 8 septembre à 14h, Dalpé endossera le texte sur scène à Sudbury cet hiver, puis à la Petite Licorne de Montréal ce printemps. http://zones.nac-cna.ca
La récente pièce de Jean Marc Dalpé, Août, un repas à la campagne, sera aussi à l’affiche cet automne au Studio du CNA dans une production du Théâtre de la Manufacture, du 3 au 6 octobre. www.nac-cna.ca