Serge Dupire : Échappée belle
Scène

Serge Dupire : Échappée belle

Serge Dupire remonte sur les planches d’un théâtre québécois après 20 ans d’absence. Avec Je suis d’un would be pays, un solo de François Godin dirigé par Gervais Gaudreault, le comédien plonge courageusement dans les dédales de la quête identitaire.

Il est canadien, né William Dubé. Mais il travaille comme contrôleur dans les trains en Europe sous le nom de Richard Dubé, né en France. Ajoutons qu’il ne se défait pas d’un passeport allemand au nom de Wilhelm Stouffer, qu’il tient aussi pour sien. L’insaisissable personnage de Je suis d’un would be pays, imaginé par François Godin (Louisiane Nord) et incarné par Serge Dupire, est fait de ces identités multiples; mais le voici, quand la pièce commence, mêlé à une enquête policière qui lui fait craindre, plus que jamais, la fin de ce jeu de masques qui lui est devenu essentiel.

Quand le metteur en scène Gervais Gaudreault, notamment codirecteur artistique de la compagnie de théâtre pour jeunes publics Le Carrousel, et Marie-Thérèse Fortin, directrice artistique du Théâtre d’Aujourd’hui, ont proposé à Serge Dupire, installé en France depuis près de 20 ans, le rôle de William, ce dernier n’a pas hésité. "Je suis ravi qu’on ait pensé à moi. Ce monologue, c’est un vrai défi, un texte dense, compliqué, chargé de sens. Je dirais même que c’est la corde raide. Après bientôt 30 ans de métier, c’est une belle manière de procéder à un bilan."

En effet, l’oeuvre exige d’être disséquée, oblige plus que d’ordinaire le metteur en scène et l’acteur à faire des choix qui orientent la compréhension du spectateur. "Notre travail, en fait, c’est de rendre ça le plus clair possible. Parce que si la pensée de l’auteur est claire, celle du personnage, elle, est confuse. Il part dans tous les sens, devient sans cesse d’autres personnes, vit dans le présent comme dans le passé. Comme le train, qu’il ne quitte presque jamais, il glisse en permanence. Il fuit continuellement son identité, tout en cherchant à la retrouver, ce qui est assez fascinant. En fait, cet homme est une grande contradiction sur deux pattes."

SANS FRONTIÈRES

Subjugué par l’élégance des trains, auxquels il a déjà consacré plus ou moins 30 ans de sa vie, William Dubé n’a pour adresse qu’un casier postal, son plaisir est de n’être jamais qu’en transit, de ne quitter le train que pour l’hôtel, et l’hôtel que pour le prochain train. Pas québécois, pas canadien, pas français, pas allemand, il est citoyen du monde. Il vit sans frontières, sans attaches et sans racines. "Ce gars-là peut raconter mille et une choses, mais ça ne repose sur rien parce qu’il ne sait pas qui il est. Il vit nulle part et partout. Il est constamment en mouvement, incapable de se fixer, d’avoir le moindre point d’ancrage. Il va même jusqu’à se vanter de son mode de vie, celui d’un SDF de luxe, en quelque sorte. Il a l’air très normal, très rangé, mais petit à petit, en l’écoutant, on découvre qu’il a un grain, un truc qui ne va pas."

Le temps d’un trajet sur la ligne Bruges-Paris, William/Richard se confie à un pur inconnu. Il dit: "C’est un terrain neutre, le train. Un non-territoire. On sait qu’on ne se reverra pas, du moins on le présume, alors c’est facile de se laisser aller à dire des trucs intimes, à la limite inavouables." Réflexion originale sur la quête d’identité, la pièce aborde les dimensions culturelle, linguistique, sexuelle, mais aussi politique de l’individu. Forcément, en filigrane de toute la pièce, l’insoluble question nationale se déploie. "Avec Gervais [Gaudreault], on essaie de privilégier le personnage plutôt que son discours politique. Mais il faut bien admettre que tout ça est politique. Les digressions de William lui permettent d’illustrer sa pensée, une pensée qui est éminemment politique."

En réalité, ce que l’acteur souhaite que la pièce provoque chez les spectateurs, c’est une remise en question bien personnelle. "Loin de moi l’idée de faire du prosélytisme ou de la revendication. Je veux qu’on comprenne bien que c’est un individu qui se pose ces questions, et avant tout face à lui-même. L’idée, c’est d’amener les gens à se demander où ils se situent par rapport à ça. La fin du spectacle, il faudrait la recevoir un peu comme une gifle. Se demander: comment est-ce que je me définis intimement et politiquement dans un pays qui n’en est pas un?"

Du 4 au 29 septembre
Au Théâtre d’Aujourd’hui
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C.V.

Né en 1958, Serge Dupire a terminé ses études à l’École nationale de théâtre en 1979. Depuis, il a tenu, au Québec comme aux États-Unis et en France, un nombre incalculable de rôles. Au théâtre, il a joué les oeuvres de Roland Lepage, Molière, René-Daniel Dubois, Gotthold Ephraïm Lessing et Marivaux; travaillé sous la direction de Joseph Saint-Gelais, Jean Dalmain, Frank de la Personne, Robert Fortune et Denis Marleau. À la télévision, il connaît depuis 2004 un immense succès sur la chaîne France 3 avec Plus belle la vie, un feuilleton suivi par 6 millions de personnes chaque jour. Auparavant, il avait tenu des rôles dans une trentaine de productions télévisuelles telles que Femmes de loi en France, Another World aux États-Unis et Formule 1, Juliette Pomerleau et Tribu.com au Québec. Au cinéma, il apparaît au générique des films suivants: Les Plouffe, Le Crime d’Ovide Plouffe, La Femme de l’hôtel, Le Matou, La Révolution française, L’Automne sauvage, Louis, enfant-roi, La Conciergerie et Le Ciel sur la tête.