Daniel Léveillé : Mouvement perpétuel
Scène

Daniel Léveillé : Mouvement perpétuel

Daniel Léveillé remonte aux sources de son écriture chorégraphique en revisitant deux oeuvres créées dans les années 80. Un morceau d’anthologie à ne pas manquer.

Jamais Daniel Léveillé n’aurait eu l’idée de reprendre l’une de ses pièces. Jamais, même, il n’aurait pu en avoir le désir, car la création est son seul moteur et son unique intérêt. D’ailleurs, s’il s’est laissé prendre au plaisir de remonter Le Sacre du printemps et Trace no II, il avoue ne pas avoir été particulièrement nourri par l’expérience. "C’est un lieu commun de dire qu’on fait toujours la même oeuvre, mais cette reprise m’a permis de confirmer que mes obsessions fondamentales et mes règles absolues d’écriture sont les mêmes."

C’est justement pour révéler les constantes dans l’oeuvre de Daniel Léveillé que Marie-Andrée Gougeon, directrice générale de la compagnie, a voulu ces reprises. C’est aussi pour donner des repères historiques aux Européens qui ne l’ont découvert qu’en 2001 avec Amour, acide et noix, la pièce qui a attiré les projecteurs sur lui. Créé en 1982, Le Sacre du printemps avait marqué un tournant dans le parcours du chorégraphe: des scénarios plutôt linéaires de la danse-théâtre qui l’avait caractérisé jusqu’alors, il passait à l’abstraction et à la physicalité du mouvement. Repasser dans ses traces aujourd’hui lui permet de mieux comprendre certains choix artistiques.

DU BON USAGE DE LA TRADITION

"J’ai eu une sorte de révélation quand on a présenté la reprise à Vanves, en février dernier, et qu’un spectateur m’a dit: "On ne bouge plus comme ça", raconte-t-il. J’ai réalisé que ça avait été créé avant ce que j’appelle la petite danse belge mais qui est plutôt la grande danse belge: ce courant amorcé par Anne Teresa de Keersmaeker, suivi par Ginette Laurin, Wim Vandekeybus, etc., qui est une sorte de mouvement continu et, d’une certaine manière, une danse du moindre effort parce que l’élan amène l’élan. À l’époque du Sacre, on était plus dans un lien avec la tradition d’un corps vertical, tenu…"

Formé aux techniques Limon et Cunningham, où l’on sent clairement l’influence des bases classiques, Daniel Léveillé a également été marqué par l’enseignement de Linda Rabin, pionnière du minimalisme et de l’éducation somatique à Montréal. Au fil des ans, le chorégraphe est resté fidèle à cette danse rigoureuse dans sa forme et dans ses trajectoires: les corps de ses danseurs s’étirent toujours entre ciel et terre et ses chorégraphies se dessinent dans l’espace en figures géométriques régulières.

"Mon goût pour la verticalité a un rapport avec une certaine noblesse, dans le sens pur du terme, commente celui qui étudia l’architecture avant de passer à la danse. Parce que c’est quand même un phénomène exceptionnel dans la nature, cette verticalité-là. Ça a demandé beaucoup d’efforts à l’être humain pour y arriver… Et s’il y a une chose qui me plaît en ballet, ce sont les ballets les plus purs, ceux qui sont le plus organisés avec un centre au centre et des éléments également répartis, parce qu’on est proche de l’architecture qui m’attire par la régularité des formes. Au fond, ça exprime peut-être une volonté de contrôle et une peur de me perdre, de m’abandonner."

PETITE HISTOIRE D’UNE GRANDE OEUVRE

La peur, Daniel Léveillé l’a ressentie vivement quand il a projeté de créer un solo pour Margie Gillis, déjà grande star de la danse, sur une version pour deux pianos du Sacre du printemps, célèbre composition d’Igor Stravinski maintes fois portée à la scène. Pendant un an, il écouta le disque plusieurs fois par jour, jusqu’à le briser pour mettre fin à l’obsession. C’est d’ailleurs la seule fois qu’il chorégraphiera si précisément sur de la musique. Finalement, l’oeuvre deviendra quatre partitions solo dansées simultanément par trois femmes et un homme. "J’ai racheté le disque une veille de Noël où il régnait une atmosphère de fin du monde chez Eaton, avec tous ces gens qui cherchaient un cadeau à la dernière minute. C’est une énergie qu’on retrouve dans la pièce."

Créée en moins de cinq semaines, elle dure 33 minutes et ressemble à un marathon dont les danseurs sortent exsangues. "Même si la pièce n’est pas théâtrale, on peut y voir un sacrifice humain, reconnaît Daniel Léveillé. On ne peut donc pas faire l’économie de la folie, de la transe qui peut conduire à poser ce geste-là." Le fait que l’oeuvre soit dansée par quatre hommes – Frédéric Boivin, Mathieu Campeau, Justin Gionet et Emmanuel Proulx – ne change rien à son intensité. Interprété par Louise Bédard, le solo Trace no II, deuxième d’une série de six créés en 1989 sur la recherche du mouvement de l’émotion, expose, en 20 minutes, le goût du chorégraphe pour la répétition. "L’intérêt vient de l’observation des différences d’une seule et même chose répétée à l’infini." Une épreuve qui, parfois, peut conduire à l’extase.

Jusqu’au 22 septembre
À l’Agora de la danse
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