Jacques Rossi : Monde impossible
Jacques Rossi signe la mise en scène d’Un simple soldat de Marcel Dubé, une pièce qui, bien que fêtant son 50e anniversaire, possède toujours des résonances bien actuelles.
Après avoir joué dans Zone en 2004-2005 et dirigé Florence en 2006, voilà que Jacques Rossi se frotte de nouveau à l’oeuvre de Marcel Dubé en mettant en scène Un simple soldat, dans une mouture qu’il a lui-même concoctée à partir de ses diverses variantes télévisuelles et théâtrales (1957, 1958, 1967, 1973 et 1977). "Je suis parti de la version de 1967, qui était augmentée de plusieurs scènes, de différents personnages et de chansons, raconte-t-il. Mais je l’ai élaguée ou augmentée de manière à mieux éclairer l’histoire, et j’y ai intégré des extraits de Poèmes de sable." Ainsi retrace-t-il le parcours de Joseph, un jeune militaire québécois revenant de la Seconde Guerre avant même d’avoir pu y participer. "Il ne s’adapte pas à son environnement, il est en réaction, presque en révolte", observe-t-il. Une caractéristique commune à plusieurs personnages de Dubé, qui s’intéressait particulièrement "au rapport à la destinée, à une espèce de plus grand que soi qui nous empêche de nous accomplir", poursuit-il. Ce qui est encore vrai dans cette pièce, dont le metteur en scène admire la force dramatique. "C’est comme un rouleau compresseur. Dès le début, il y a une tension et, même si c’est assorti de moments plus légers, on sent que le drame progresse vers la tragédie, commente-t-il. Pourtant, tous les personnages voudraient connaître un mieux-être, mais ils sont tellement tournés vers leur drame intérieur, leurs frustrations personnelles, le manque d’ouverture de la société dans laquelle ils vivent qu’ils n’y arriveront pas."
De son côté, Jacques Rossi a cherché à jeter un éclairage différent sur les membres de la famille, devenus plutôt clichés au fil du temps, et, surtout, à mettre l’accent sur la nature d’antihéros de Joseph. "C’est un personnage tout en contradictions, mais qui a une superbe incroyable", remarque-t-il. Quant aux rôles secondaires et aux parties chantées, ils sont assumés par un petit groupe de comédiens, manière de choeur séant bien à l’aspect tragédie de l’ensemble, quoique la pièce, écrite pour la télé, soit loin de respecter la règle des trois unités avec ses nombreux lieux et ellipses. "C’était un casse-tête, un gros travail de mise en forme et en espace. J’ai eu à clarifier tout ça et à trouver une façon d’aider le spectateur à suivre le déroulement. On a donc opté pour une scénographie simple qui, en se déployant, permet ce voyage dans l’espace et le temps", indique-t-il. Enfin, l’ajout d’une mise en situation au début du spectacle permet d’aborder l’oeuvre sous une nouvelle perspective. "Ça part du moment où Joseph se fait tuer en Corée, ce qui donne un surplus de conscience au personnage, alors qu’il revoit sa vie plutôt que de la vivre au présent et sans recul comme dans la première mouture de la pièce. Il revoit les événements, et nous aussi, on les revoit à travers ses souvenirs. C’est le phénomène de distanciation que j’ai essayé de créer pour le spectateur, en le replongeant dans un contexte de guerre. Là, c’est en Corée, mais ça aurait pu être au Vietnam ou en Afghanistan." Bref, une manière de boucler la boucle, du soldat revenant d’une guerre qu’il a ratée à la guerre qui, elle, ne l’a pas raté.
Jusqu’au 6 octobre
Au Théâtre de la Bordée
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