Jean-Louis Trintignant : Maître Renard
Jean-Louis Trintignant et ses complices ont ouvert le coloré Journal de Jules Renard. Entretien avec le bien-aimé comédien.
"Je sais enfin ce qui sépare l’homme de la bête. Ce sont les ennuis d’argent."
"Si l’on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce serait la salle d’attente."
"Il y a deux ans que je n’ai pas parlé à ma femme, c’était pour ne pas l’interrompre."
Jules Renard ne faisait ni dans la dentelle ni dans le propret. Son célèbre Journal, rédigé entre 1887 et 1910 et dont vous venez de lire quelques extraits, n’était d’ailleurs pas destiné à la publication, ce qui explique en partie la complète liberté de ton qui en émane. Il n’est paru qu’une quinzaine d’années après sa mort, faut-il le préciser, après que sa femme en eût retranché un bon tiers!
Jean-Louis Trintignant adore. Le Journal comme les anecdotes qui l’entourent. "C’est un esprit qui me convient parfaitement, nous dit-il, qui me touche beaucoup. C’est très poétique mais jamais dramatisé; très drôle mais aussi terrible, d’un cynisme magnifique."
Celui qui nous présentait l’an dernier – avec le succès que l’on sait – des extraits pigés chez Guillaume Apollinaire repasse par le Festival international de la littérature et nous plonge, en compagnie des comédiens Hélène Fillières, Manuel Durand et Jean-Louis Bérard, dans une autre de ses lectures de chevet, une oeuvre qu’il fréquente "depuis plusieurs années, sinon plusieurs décennies".
DE L’ECRIT A LA SCENE
"Sur 1000 pages, nous en avons sélectionné plus ou moins 50, explique Jean-Louis Trintignant. Mais pas cinquante qui se suivent. Au départ, j’ai demandé à mes collaborateurs de mettre de côté tout ce qui les intéressait. J’ai fait le même exercice, puis nous avons mélangé ces extraits. Voilà, nous avions un début de spectacle… Il se trouve que souvent, nous avions choisi les mêmes éléments. Par exemple, nous avions tous relevé ceci: "Il y a des femmes laides qui sont quand même enceintes." Dans le spectacle, heureusement, c’est une femme qui le dit!"
Le ton est donné, les tirades devraient nous laisser quelque part entre le rire franc et le grincement de dents. "Il ne veut jamais faire rire, Jules Renard. Il fait rire malgré lui. Il fait rire de son désespoir. Je ne vois pas d’auteur contemporain qui puisse lui être comparé sur ce plan, d’ailleurs."
Découpage oblige, le résultat aurait quelque chose d’assez éclaté, volontairement hétérogène. Encouragés par Jean-Louis Trintignant, ses artisans se sont permis une part de création véritable. "Nous nous sommes parfois inventé des dialogues, en recollant plusieurs phrases. Nous ne les avons jamais modifiées, évidemment, mais nous nous sommes permis d’en changer l’ordre."
DONNER VIE
C’est connu, Trintignant est un adepte du dépouillement, de la sobriété, mais ses complices et lui ont clairement choisi de mettre les mots en relief, d’y insuffler une part d’eux-mêmes. "Nous avons compris qu’il fallait faire plus que lire, que nous devions nous investir, nous approprier le texte, jouer, jusqu’à un certain point." L’acteur, qui lui non plus ne mâche pas ses mots, ajoute: "J’ai entendu les disques enregistrés par Jean-Claude Brialy, sa lecture de morceaux choisis du Journal. Il les dit bien, c’est très sérieux et tout, mais au bout d’un moment c’est inécoutable. Si on ne reprend pas ce texte à son compte, à mon avis c’est inécoutable."
On le comprend, Jean-Louis Trintignant a placé la barre bien haut. Le spectacle a beau avoir été créé en décembre 2005 au Petit Hébertot, à Paris, et avoir circulé beaucoup depuis, la petite troupe ne cesse de le parfaire. Avant de partir pour Montréal, les comédiens s’imposent d’ailleurs quatre jours de répétition sous la houlette du scénariste et homme de théâtre Gabor Rassov. "Moi, je ne suis pas un vrai metteur en scène, de toute façon. Ça ne me plaît pas trop, en fait. J’ai tellement envie d’être comédien…"
De grâce, demeurez-le longtemps encore, Monsieur Trintignant.
Les 18 et 19 septembre
Au Palais Montcalm
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