Jordi Cortés : Douloureuses étreintes
Les Barcelonais Jordi Cortés et Damián Muñoz nous ouvrent une fenêtre sur la danse contemporaine catalane avec Ölelés, un duo puissant sur l’amitié au masculin.
Historiquement, la Catalogne est la région locomotive de l’Espagne. C’est de là que sont parties la plupart des révolutions: économique, avec le développement industriel et touristique, politique, avec l’autonomie devenue réalité nationale, et culturelle, avec un foisonnement de collectifs d’artistes avant-gardistes qui mêlent les disciplines et multiplient les échanges interculturels et internationaux.
"Depuis quelques années, certaines compagnies ont pu créer leur langage et consolider leur implantation, explique le chorégraphe Jordi Cortés. Le problème est qu’en Espagne, il est très difficile de faire tourner une pièce dans plus de cinq ou six villes: même si les mentalités changent et que le public de la danse contemporaine se développe, l’idée persiste que c’est un art réservé à une élite. Depuis peu, on a aussi en Catalogne un conseil des arts qui veut appuyer l’intégration de la culture à l’enseignement et essayer de dépolitiser le soutien à la création et à la diffusion pour éviter la centralisation et l’ingérence."
La culture de l’exil, contrainte par la dictature franquiste jusqu’à la fin des années 70, s’est ainsi perpétuée pour des raisons économiques et culturelles. Jordi Cortés a d’ailleurs passé 11 ans à Londres où il a collaboré pendant sept ans avec le DV8 Physical Theatre avant de monter sa propre compagnie, Altat Realitat, qu’il a rapatriée en 2003. Aujourd’hui, c’est encore grâce à ses tournées à l’étranger qu’il survit. Très engagé dans le milieu du théâtre, il crée des oeuvres novatrices à partir de textes d’auteurs contemporains. Parmi ceux-ci, Les Braises, un roman du Hongrois Sándor Màrai, racontent l’histoire d’une dernière rencontre entre deux hommes. "Ce qui m’a frappé dans le livre de Màrai, c’est qu’on a l’impression qu’il ne se passe rien, mais que tout est dit entre les lignes. C’est ce que j’ai voulu faire avec Ölelés."
Très vite, il décide qu’elle sera créée et dansée par lui-même et le chorégraphe-interprète Damián Muñoz, avec qui il a déjà collaboré. Ils relisent le roman, en discutent et choisissent une toute nouvelle façon de travailler pour se baigner dans l’oeuvre littéraire et en traduire tous les non-dits: "Chaque jour, on improvisait selon une approche différente de l’histoire, explique Cortés. On amenait du matériel avec lequel on avait envie de travailler: musiques, objets, costumes, livres, crayons à dessin, cordes pour se pendre… On se filmait et après, on analysait. Parfois c’était absurde, surréaliste, réaliste, hyper ennuyeux… Parfois on ne faisait rien, comme si on était deux vieux… Peu à peu, le matériel à conserver s’est dégagé de lui-même."
Depuis 2004, le spectacle a été présenté près de 80 fois, sur plusieurs continents, et a reçu deux prix. Clairement inscrit dans la mouvance du théâtre physique, Ölelés présente une relation entre massacre et étreinte, deux termes antinomiques qui partagent pourtant la même étymologie en hongrois et qui cohabitent dans le titre de l’oeuvre.
Du 3 au 6 octobre
À l’Agora de la danse
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L’atmosphère et la lumière du Caravage, Le Duel de Joseph Conrad