Céline Bonnier : Question de vie ou de mort
Avec Le Chant des Gaston, la comédienne Céline Bonnier plonge plus officiellement comme auteure et metteure en scène. Rencontre avec une artiste aux multiples talents.
Après des années sans réels échanges, cinq frères et soeurs, incarnés par Paul-Patrick Charbonneau, Nathalie Claude, Gérald Gagnon, Brigitte Lafleur et Gaétan Nadeau, se retrouvent pour "casser maison" à la suite du décès du père. Âgés de 38 à 48 ans, ils ont la surprise d’être reçus par un adolescent (Théo Brière), qui s’avère être leur jeune frère. Montée en tableaux, la pièce investit essentiellement la notion de deuil, sans pour autant évacuer le rire qui, souvent, infiltre ce processus douloureux, parfois par nervosité, parfois pour respirer.
Ce n’est pas d’hier que Céline Bonnier, cofondatrice de la compagnie Momentum, se demande comment transformer en art son obsession pour la mort. "C’est pour ça que Nathalie Claude et moi avons fait La Fête des morts, pour aller voir de l’autre côté du miroir." Si ce spectacle présenté dans un cimetière explorait l’univers des morts et le monde du passé, Le Chant des Gaston mesure plutôt l’effet de la mort sur les vivants. On y analyse et observe les chemins que prend le deuil chez six individus en regard de leurs différents outils et de leurs expériences singulières. "Je suis beaucoup partie du deuil comme de la famille et de la génération des 35-45 ans, dont je brosse un peu l’autoportrait."
La pièce, dans laquelle Bonnier ne joue pas, ne parle pas de la mère, mais l’on comprend qu’avec le décès du père, les personnages deviennent orphelins: une autre étape importante, une autre poussée dans le vertige des émotions sans filet. "La mort et le deuil me fascinent, m’intéressent et m’intriguent depuis que je suis toute petite. Et pour l’avoir expérimenté aussi, le deuil est un état chaotique très important, en ce sens qu’il peut carrément changer ta vie, ta vision de la vie." Habitée par le sujet, Bonnier se considère par contre comme quelqu’un d’assez vivant: "Je suis attirée par la vie, par le désir, et par tout ce qui répond à la mort, mais du côté de la vie. J’ai envie, à travers le thème de la mort et du deuil, d’offrir cette réponse comme de m’abandonner à ce besoin d’analyser, de parler et de regarder d’une autre façon."
Parallèlement à cette introspection, traduite en mots, la créatrice poursuit son exploration du deuil en observant les issues que prennent les émotions, jusque dans les gestes, témoins eux aussi du choc. "Je voulais comprendre comment le corps se débrouille sans voix, et comment la voix s’arrange quand le corps n’arrive pas à porter cette chose énorme. Il y a différents langages à expérimenter. Naturellement, celui du corps sans voix m’intéresse, mais l’un ne vient pas sans l’autre. Dans cette pièce, j’ai expérimenté le manque de mots tout comme les mots qui se bousculent au portillon, les mots qui ne viennent pas et ceux qui viennent en torrent mais qui ne disent pas ce qui se passe dans le corps."
Face à un deuil important, à une catastrophe intime, il n’y a rien et tant de choses à dire à la fois. "Dans la pièce, précise Bonnier, tous ces pôles se rencontrent et se mettent en perspective." Aussi, les tableaux ne suivent pas de logique chronologique ou narrative: "Je voulais que ce soit à l’image de ces moments chaotiques où parfois tu gèles la douleur, parfois tu es noyée par elle. Il y a différents paliers d’intensité, il y a des reculs, des répétitions. Des répétitions de mots également, car l’être humain répète afin de se remémorer le déroulement des événements, pour arriver à comprendre, pour que le cerveau atteigne une vitesse de croisière réaliste avec laquelle il peut continuer à vivre."
Du 9 au 27 octobre
À Espace Libre
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