Moitié-Moitié : Terre maternelle
Dans la lenteur des rituels de passage, Moitié-Moitié nous montre la réconciliation entre deux frères que la vie a séparés.
Avec Moitié-Moitié, c’est à une traversée de multiples fossés que nous convient le dramaturge australien Daniel Keene et le metteur en scène français Kristian Frédric. Plusieurs fossés séparent en effet les deux demi-frères, interprétés par Cédric Dorier et Denis Lavalou, que la blessure pourtant, comme le passé commun, réunit maintenant sous le visage de l’éclatement.
Ensemble, ils creuseront entre eux et le reste du monde un fossé qui les isolera totalement du concret des mortels. Ce fossé sera si creux qu’ils se détacheront, comme une île ou une planète, de l’univers normal pour se retrouver finalement dans une sorte de bulle, de cellule, où les confrontations cesseront et feront place à la symbiose. C’est donc autant à une réconciliation qu’à une rupture que nous assistons. Et tout ça se passe dans la cuisine familiale, au retour de l’aîné après dix ans d’absence et après que la mère soit décédée. Dans leurs souvenirs et dans leurs manières de prendre le deuil, vingt ans les séparent. Il faut dire que l’aîné était déjà un homme au moment de la naissance du benjamin et que la relation avec la mère était forcément différente et déjà construite de deuils. Et la mère, on la ramènera dans cette cuisine qui sera le théâtre des pires tensions entre le silence et le dire, entre l’analyse et l’émotion, entre la précision et le vague. Au-delà de la métaphore de Caïn qui plane constamment sur les lieux et les gestes, c’est la terre qu’on ramène littéralement dans la maison. La terre de mater, celle qui recouvrait la tombe maternelle, celle qui évoque le jardin, celle qu’on irrigue, celle qui est source. La métaphore arrive à prendre racine dans le magnifique décor signé Charles-Antoine Roy qui transforme vraisemblablement la simple cuisine en jardin d’Éden. Le décor sert beaucoup les propos et cerne bien l’idée de rédemption et la grâce que celle-ci peut contenir.
Après un début lent (trop lent?) où les personnages qui s’apprivoisent tardent à poser des gestes, Kristian Frédric montre, encore une fois, qu’il sait maintenir une tension et traduire un malaise qui bascule autant dans l’action d’une certaine violence que dans la réflexion. Parfois énigmatique et lourde, la pensée, à la fin, se clarifie et ouvre sur des avenues surprenantes.
Jusqu’au 13 octobre
À l’Usine C
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