Isabelle Hubert : L’état des liens
Isabelle Hubert s’est inspirée de ses retrouvailles avec son ennemi de jeunesse pour écrire À tu et à toi, une pièce sur l’amitié. Constat d’évolution.
Lorsqu’elle était jeune, Isabelle Hubert avait un ennemi intime. À l’école, aux cours de natation, dans l’autobus… "On était toujours obligés d’être ensemble et on s’haïssait, se souvient-elle. On était vraiment différents, mais de force égale. À mon grand étonnement, c’est le seul de la Gaspésie à être venu voir ma pièce de finissants; ça m’a extrêmement touchée. Un peu plus tard, je l’ai rencontré et il m’a dit qu’il avait fait une mission en Bosnie. À ce moment-là, je me demandais: "À quoi ça sert de faire du théâtre?" Et quand j’ai vu que mon ennemi d’enfance avait été Casque bleu, j’ai pensé: "Lui, il a été utile, moi pas." Il y avait donc, à l’origine de la pièce, une volonté de parler de ça. D’autant plus qu’on avait nous-mêmes été en guerre, alors je trouvais que, dramatiquement, ça avait un intérêt."
À cette idée est ensuite venue se greffer, comme par un effet de négatif, celle d’une d’amitié effritée. "Je me suis souvent dit que dans la vraie vie, les amitiés ne sont pas aussi solides qu’on nous les présente dans la fiction, raconte-t-elle. C’est rare les gens qui sont encore en contact avec leurs amis du primaire." Ainsi a-t-elle imaginé la réunion de trois filles ayant grandi ensemble, une auteure en crise, sa soeur alcoolique et leur belle-soeur sur le point de se remarier, à laquelle se joint un gars, ex-militaire en choc post-traumatique, qu’elles n’ont pas vu depuis leur secondaire. "Finalement, c’est son arrivée qui fait lever le party, mais aussi les animosités, les regrets et tout ça", observe-t-elle.
Comme dans ses autres textes (Couteau…, Jacinthe Rioux…, Show d’vaches…), on retrouve ici aussi le mélange de comique et de dramatique qui la caractérise. "Ça fait vraiment partie de moi; mon regard sur la vie est toujours un peu amusé en même temps que triste ou colérique. Il y a un petit côté que je souhaite pas rose bonbon, mais plutôt noir réglisse à mon humour, commente la dramaturge. J’aurais voulu écrire une feel-good play, mais finalement, je crois que je ne suis pas capable de faire ça. N’empêche, il me semble qu’il y a vraiment une lueur d’espoir dans la pièce."
Pour ce qui est de la mise en scène de Jean-Sébastien Ouellette, elle explique, en reprenant son expression: "La ligne directrice, c’était un "réalisme obsédé". Il est vraiment allé à fond là-dedans. Le jeu est très particulier: les personnages parlent un par-dessus l’autre; c’est criant de vérité. De temps en temps, le spectateur ne voit pas tout, comme s’il regardait à travers une fenêtre. Mais chaque fois, c’est pour apporter une petite dose de suspense à l’action. Ce "réalisme obsédé" est extrêmement minutieux et précis; c’est une immense chorégraphie. L’éclairage est celui d’une maison normale et la musique, celle qu’ils écoutent dans le party, alors c’est une succession de hits des années 80. À travers ça, il y a tout de même quelques projections et scènes en flashback, qui brisent la convention." Enfin, elle remarque que cette manière d’hommage à l’amitié n’est, somme toute, pas si loin d’une feel-good play. "Quand on a commencé les enchaînements, les comédiens disaient: "Ça me donne le goût d’aller appeler mes amis pour leur dire que je les aime"", relate-t-elle. Un sentiment qu’elle serait également heureuse d’insuffler aux spectateurs.
Du 16 octobre au 3 novembre
Au Théâtre Périscope
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