Les jours sont contés en Estrie: Renée Robitaille : Paroles et paradoxes
Dans Hommes de pioche, la frêle et coquine Renée Robitaille s’attaque à plus costaud qu’elle. La conteuse sort toutefois grande gagnante.
Le matin de notre entretien téléphonique, Renée Robitaille était à Carleton en Gaspésie. Elle s’y trouve avec toute sa famille car elle fait partie de la programmation d’un festival local, mais aussi parce qu’elle donne des ateliers d’initiation au conte dans les écoles primaires et secondaires de la région. "Au départ, je pensais que conter pour les jeunes, c’était facile. Et puis, je me suis plantée. Ça a été une belle école pour moi." Elle considère essentiel cet aspect de son métier de conteuse: "L’éducation est de moins en moins axée sur la culture. Les enseignants et les directeurs sont débordés. C’est fou la tâche que ces gens ont! C’est tellement hallucinant ce qu’ils ont à faire. Ils ont peu de temps à consacrer à la culture. Ça, je ne le vois pas en France. Je trouve que c’est dommage."
L’Europe, Renée Robitaille connaît. Ses spectacles de contes fonctionnent très bien en France et en Belgique. Elle aime y aller et compte bien y retourner souvent. "Ça m’apporte beaucoup. Rencontrer des gens de partout, ça nourrit." Elle se remémore ce spectacle en Suisse dans un pénitencier qui se nomme ironiquement la prison des Pâquerettes. Seulement 10 hommes y étaient incarcérés. Elle leur a conté ses mots qu’elle sait si bien orchestrer et leur réaction fut touchante. Ces hommes durs avaient la larme à l’oeil, regardaient par terre. Un silence de mort régnait dans la prison alors qu’elle était pleine de vie grâce à la présence de la parolière. "Après le spectacle, ils me serraient la main et ne voulaient plus la lâcher. Ils me parlaient de leurs rêves: aller au Canada, avoir une femme, fonder une famille…" Il s’agit là de précieuses rencontres pour une conteuse.
Selon elle, il n’y a que le conte qui permet cette proximité entre l’artiste et son auditoire. Renée Robitaille s’est d’ailleurs intéressée à la relation entre le conteur et son public au cours d’une maîtrise en communication. "Il s’agit d’un médium dans lequel on doit vraiment tenir compte du public. Un soupir, un sourire, le rythme des gens… tout ça importe. Dans une société où il y a des médias un peu plus froids, quand on va dans une soirée de contes, ça nous permet de vivre une convivialité qu’on retrouve peu dans le quotidien."
La belle relation qui unit la conteuse de 33 ans à son public a débuté avec le spectacle Contes coquins pour oreilles folichonnes. "Je suis une personne assez délicate, assez naïve. J’ai cette pudeur qui me permet de dire des choses qui sont plus osées. Un homme en chemise de chasse ne pourrait pas dire ces choses-là, ça aurait l’air vulgaire, alors que dans ma bouche à moi, ça passe. Il y a ce paradoxe entre mon air candide et mes propos." La plus belle réaction à ce spectacle fut sûrement celle de cette dame âgée qui l’aborda en lui disant qu’elle était d’une "crudité malicieuse"!
Hommes de pioche, son plus récent spectacle, est loin d’être un conte coquin. Cette fois, Renée Robitaille donne vie à des personnages issus du monde des mines de Val-d’Or. Afin d’écrire ce conte, cette Abitibienne de naissance est descendue dans les mines en plus de creuser son passé. "Pendant longtemps, je me suis demandé pourquoi je n’avais plus envie de retourner là-bas. Je me demandais pourquoi j’avais perdu cette fierté. Par ce conte, j’ai voulu me réapproprier mon identité, mes racines. Là-bas, tout le monde connaît un mineur, alors que pour un jeune de Montréal, un mineur, c’est quelqu’un de moins de 18 ans. Il y a tout un clash."
Dans les souterrains de Val-d’Or, plusieurs rencontres furent marquantes. Elle me raconte celle avec Antonio, un Italien arrivé en Abitibi pour y trouver du travail après avoir traversé l’océan en bateau. "Malgré son jeune âge, il était alors plus vieux que la ville de Val-d’Or. Au cimetière, il n’y avait pas de morts. Pour un Romain, ce n’était pas catholique." Il y eut également l’histoire touchante de Gros Denis qui a perdu ses enfants dans le feu. "C’est un gros tough qui a des problèmes avec la police, qui peut boire 25 bières en deux heures et qui participe à des concours de force… et c’est lui qui perd ses enfants dans le feu. C’est un autre paradoxe: la vulnérabilité, la fragilité de la vie. C’est beaucoup ça tout au long du spectacle."
Pour l’anecdote, elle raconte que les mineurs discutaient volontiers avec elle, mais ils aimaient que ça se fasse dans les tavernes. Chaque fois, ils lui payaient un verre avec un billet de 100 $. "Il fallait qu’ils me cruisent, mais de façon sympathique – "Eille la p’tite, j’vais m’occuper de toé!" -, et après ils me contaient les vraies affaires de la vie." Décidément, on ne sort pas la coquine de la conteuse.
Hommes de pioche
Le 20 octobre à 15h et 17h
À la mine de Capelton
Dans le cadre du festival Les jours sont contés en Estrie
À voir si vous aimez /
Vous faire conter une histoire
L’histoire des régions
Les personnages plus grands que nature
LES JOURS SONT CONTES EN ESTRIE
Ce festival de conte des Cantons-de-l’Est en est à sa 15e année d’existence, ce qui en fait le plus âgé des festivals de conte au Québec en termes d’éditions. Du 11 au 21 octobre, un nombre impressionnant de spectacles auront lieu dans différentes salles de la région. En plus des Hommes de pioche de Renée Robitaille, qui se déroulera pour la première fois dans une mine, plusieurs événements ponctuent cette célébration de la parole. Il y a cette réunion entre Michel Faubert, notre archéologue de la tradition orale, et Michel Hindenoch, son équivalent français, qui se fera en chansons et en contes sur la scène du Vieux Clocher de Sherbrooke (le 11 octobre à 20h). Kim Yaroshevskaya, notre Fanfreluche nationale, sera également de la fête avec des contes philosophiques parsemés d’humour et de sagesse (au Littorale le 13 octobre à 20h). Les Tireux d’Roches et Musique à bouches déambuleront dans la rue Wellington le 14, Venant Mboua et Eshu s’amènent avec leurs contes du Cameroun le 16, il y aura un concours de menteries le 21… Et ce n’est qu’un aperçu. Pour tous les détails de la programmation, consultez le site des Productions Littorale: www.productionslittorale.com.