Olivier Choinière : Au pays des merveilles
Scène

Olivier Choinière : Au pays des merveilles

En dévoilant Félicité, une pièce dont Sylvain Bélanger signe la mise en scène, Olivier Choinière nous ouvre une fois de plus les portes de son univers intrigant.

Pour écrire Félicité, l’auteur d’Autodafé et de Venise-en-Québec s’est notamment inspiré de la question suivante: Dans une société où la religion et le catholicisme semblent avoir été mis au rancart, qui sont donc nos dieux et déesses? Dans la fascination sans limite que vouent le public et les médias au vedettariat, ainsi qu’aux faits divers glauques et morbides, Olivier Choinière a trouvé un élément de réponse.

"Toute notre adulation pour ces deux univers extrêmes et contradictoires semble jouer chez nous le même rôle que celui des dieux chez les Grecs, explique-t-il. De ces dieux, tout le monde suit les grandeurs et les chutes, on connaît les moindres détails de leurs existences." Les vedettes ou les "pauvres gens" seraient-ils devenus nos nouveaux héros? Répondraient-ils à un besoin de s’en remettre à quelque chose de plus grand que soi? Mis en scène par Sylvain Bélanger, sous la bannière du Théâtre de la Manufacture, le texte de Choinière n’ose aucune conclusion, mais suscite sans contredit des réflexions sur le phénomène. "Le fait de connaître tous les détails de la vie de ces gens-là nous donne un pouvoir sur eux. On peut s’approprier leur vie. J’ai donc imaginé un personnage qui agissait exactement ainsi."

Félicité, que Choinière a commencé à écrire en 2004 lors d’une résidence au Centre des auteurs dramatiques et dont la version finale a vu le jour en 2006, raconte l’histoire de Caro, une caissière dans un magasin à grande surface qui décide de se réapproprier son existence apparemment morne et sans intérêt, pour en faire un théâtre. Elle se récrit donc une vie dans laquelle elle dispose du plein pouvoir des choses et se bâtit un fantasme où elle imagine une rencontre avec sa plus grande idole. Puis, elle délègue des rôles à ses compagnons de travail qui plongent également au coeur de ce délire psychique.

Dans ce processus, Caro se dédouble afin d’investir réalité et fiction et de nous exposer sa recette du bonheur. "Durant 15 secondes, explique Choinière, on est plongé dans sa psyché, on a accès à tout son univers, à quelqu’un qui a l’air de rien mais qui nous dit qu’elle n’est pas une grande star ni une grande martyr, mais qu’elle a le pouvoir de partir dans sa tête et de se bâtir des histoires complètement fascinantes. C’est sa manière d’atteindre la félicité! Après tout, est-ce qu’on ne fait pas tous ça?"

TRAVERSER LE MIROIR

Ce voyage, qui nous entraîne des deux côtés du miroir, nous est raconté par quatre personnages: Oracle (Isabelle Roy), la Préposée (Muriel Dutil), le Gérant (Roger La Rue) et l’Étalagiste (Maxime Denommée). L’auteur a modelé un récit avec des lieux qui se transforment et des personnages qui en contiennent d’autres, une forme narrative impliquant quatre voix qui se racontent une histoire. "Dans le récit, les collègues de Caro remplissent des fonctions précises, telles que gérer ou étaler. Ils discutent, se corrigent, se reprennent." L’auteur avoue que certaines lectures ont influencé ses choix. "On retrouve ce type de théâtre narré entre autres chez Roland Schimmelpfennig. Je me suis dirigé vers cette forme parce que ça me permettait de partir en voyage, de couvrir toutes sortes de territoires géographiques ou imaginaires et d’ajouter du mystère à la chose."

Si l’auteur a misé sur cette structure narrative originale, c’est aussi pour interpeller la curiosité du public. "Il y a une action qu’on ne voit pas, mais qui existe dans la tête du spectateur. Pour moi, c’est ça, le rôle du théâtre: utiliser à son maximum l’imaginaire du spectateur. Je crois énormément au pouvoir d’évocation des mots et du texte, ainsi qu’à la capacité de l’auditoire à fantasmer." Rappelons que cette envie de stimuler autrement le public se trouvait également dans Beauté intérieure (2003), Bienvenue à (une ville dont vous êtes le touriste) (2005) ou Ascension (2006), trois déambulations sonores conçues par Choinière au sein de la compagnie ARGGL!.

Dans ce genre de texte, où l’action est essentiellement virtuelle, le principal défi est de réussir à créer une mise en scène dynamique. C’est à Sylvain Bélanger (Cette fille-là, Moi chien créole) que revient cette délicate tâche. "Avec son esprit précis, il a réussi à poursuivre cette évocation des mots dans l’espace et dans le corps des acteurs, pense Choinière. Il a évité le piège de tout mimer." Quand vient le temps de conclure l’entrevue, l’auteur, songeur, laisse s’écouler quelques secondes de silence avant d’ajouter: "Avec Félicité, j’ai l’impression que je présente quelque chose qui illustre bien la forme avec laquelle j’ai maintenant envie de travailler au théâtre."

Du 16 octobre au 24 novembre
À La Licorne
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