Crystal Pite : Portés disparus
Scène

Crystal Pite : Portés disparus

Crystal Pite s’entoure de six danseurs d’exception pour une pièce grave sur le thème de la guerre et de la disparition.

Le titre de la nouvelle création de Crystal Pite, Lost Action, fait à la fois référence au geste du danseur qui s’évanouit dans l’espace et aux soldats morts au combat (lost in action). La chorégraphe de Vancouver a fait le lien entre les deux thèmes en novembre 2005, tandis qu’elle se trouvait à Montréal pour la reprise du spectacle qu’elle avait créé pour BJM Danse.

"Je creusais l’idée de la perte, de la disparition et de l’évanescence en rapport avec le corps, se souvient-elle. Je me questionnais sur ce que ça signifie pour un danseur de faire un travail qui n’existe que dans l’instant présent… Et puis, un jour, un Américain m’a arrêtée dans la rue pour me demander le sens du coquelicot épinglé sur mon sac à dos et à la boutonnière des passants. J’ai été très émue en lui expliquant et en pensant au peu de gens qu’il reste pour porter la mémoire de cette guerre. J’ai pensé que je pouvais tracer un parallèle avec mon travail."

Dangereuse mission que de parler de la guerre pour cette artiste qui interroge toujours avec beaucoup d’humour le concept de représentation. Pour la mener à bien, elle choisit de s’entourer d’une équipe de rêve en allant chercher des interprètes de haut calibre avec qui elle a déjà travaillé. "Ça a été très difficile pour moi, confie-t-elle. Je me sentais ignorante, immature, je trouvais que je manquais de sagesse pour créer une pièce sur la guerre. Alors j’ai décidé de mettre l’idée de côté et de reprendre le thème de façon abstraite. Mais, aux trois quarts du projet, je me suis rendu compte que je l’avais fait inconsciemment. Tout était là: toutes ces images de soldats, de combats, de sauvetages… C’était très fort et très troublant."

Les quatre hommes de la distribution, Éric Beauchesne, Malcolm Low, Yannick Matthon et Victor Quijada, jouent donc un rôle central dans cette création au climat lourd et sombre malgré quelques moments lumineux. Le mouvement pétrit leur corps de la colère, de l’agressivité, de la solidarité, de la détresse et du courage des soldats en action. Les femmes, Francine Liboiron, Anne Plamondon et Crystal Pite, sont d’une présence plus discrète, mais non moins importante. "Elles sont là pour créer une sorte de contexte, un équilibre dans le sens où la guerre affecte aussi les êtres que les soldats laissent derrière eux. Par exemple, il y a une scène où Anne est portée par les hommes et ne touche jamais terre. Ça symbolise la peine. Il y a aussi des duos où les partenaires sont des fantômes…"

Le sol est rouge, le mur de brique à l’avant-scène aussi et Owen Belton contribue à épaissir l’ambiance en intégrant cliquetis, craquements et chuchotements à sa trame sonore. Les changements d’atmosphère sont rapides et nombreux, appuyés par les jeux de lumières de Jonathan Ryder, qui plonge souvent la scène dans une semi-obscurité. "Ces sections correspondent à des flashbacks, déclare la chorégraphe. Elles symbolisent une sorte de mémoire qu’il est difficile de dégager et, d’une certaine façon, elles parlent aussi de mon incompréhension." Mais, au fond, si tous les êtres humains sont capables de sentir dans leurs tripes l’horreur de la guerre, y en a-t-il seulement un qui pourrait la comprendre?

Du 24 au 26 octobre à 20h
À la salle Multi
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