Marie Brassard : Âmes soeurs
Avec The Glass Eye, sa plus récente création, Marie Brassard célèbre son improbable et extraordinaire rencontre avec le comédien Louis Negin.
Au Québec comme à l’étranger, Marie Brassard cherche à provoquer ses spectateurs, à les émouvoir et à les troubler. Après Jimmy, créature de rêve, La Noirceur et Peepshow, des solos éminemment personnels, la créatrice nous invite maintenant à pénétrer dans l’univers de l’acteur canadien Louis Negin. Fruit d’une rencontre entre deux artistes que tout sépare, à commencer par l’âge, l’origine, l’orientation sexuelle, le parcours professionnel et le milieu, The Glass Eye offre un mélange de cultures, de styles et d’époques, un entremêlement de réalité et de fiction, un voyage excitant dans le passé des années d’or de Montréal.
Louis Negin est un acteur torontois. Ses 40 ans de métier l’ont mené aux quatre coins de la planète. Pendant sept ans, il a fait escale au prestigieux Festival de Stratford. Au grand écran, on l’a vu dans plusieurs des longs-métrages du cinéaste canadien Guy Maddin. Marie Brassard a rencontré l’homme il y a cinq ou six ans. "Nous avons été présentés par une amie commune. C’était lors d’une première ou une réception, à Toronto. Il était très expressif, très généreux. Tout de suite, je l’ai aimé. Petit à petit, on est devenus amis. On ne se voit pas souvent, mais on se parle régulièrement au téléphone et Louis vient voir tous mes spectacles."
Puis un jour, l’homme dans la soixantaine, anglophone et homosexuel, ose proposer à la créatrice dans la quarantaine, francophone et hétérosexuelle, de mettre en scène une pièce de son cru: Polo’s Fantasy, a Faux Memoir. "C’est un texte très largement inspiré de sa vie, explique Brassard, un long monologue où il est beaucoup question de ce qui le passionne. C’est son univers, ses obsessions, ses fascinations, ses désirs."
Tout de suite, la directrice de la compagnie Infrarouge ressent un appel pour cet univers si loin du sien. "J’ai trouvé la pièce très intéressante, parce qu’elle dépeint un artiste d’une autre génération et qui vient d’un milieu complètement différent du mien." Mais, n’ayant pas la vocation de monter les textes des autres, la créatrice suggère à son ami de faire oeuvre commune. "Je lui ai proposé de faire un spectacle qui s’inspire de sa pièce, qui la transpose. Ensemble, on est en train de construire un objet un peu étrange. C’est parfois du théâtre et parfois de la vidéo. C’est très musical, mais aussi très visuel. J’imagine qu’au bout du compte, ça nous ressemblera à tous les deux."
ALTER EGO
Dans le Toronto des années 40, Irving, un homosexuel d’origine juive au tempérament artistique, évolue dans une atmosphère étouffante, partageant avec sa mère un petit appartement modeste. Incapable de fonctionner normalement dans une société animée par une pensée de droite, il se crée un alter ego, Polo, acteur extraverti, qui déménage à Montréal et prend activement part à la société underground des night-clubs des années 50, fleurie de stars et de gangsters, avant de poursuivre ses aventures à New York et à Londres. C’est sur les pas de ce Polo que The Glass Eye nous entraîne.
Alors que Negin a toujours eu le désir de vivre une vie excitante, une vie de glamour, Brassard est toujours restée loin de tout ça. "J’ai toujours été complètement à l’envers de ça. Je n’ai jamais voulu devenir une star. Je n’ai jamais rêvé de cette manière." Malgré tout, la créatrice a accepté de plonger dans cet univers qui la trouble et de signer, pour la première fois, la mise en scène d’un spectacle dans lequel elle ne joue pas. "On a beaucoup parlé, Louis et moi, pour que je comprenne ce qu’il ressent. J’essaie délicatement de m’insérer là-dedans. C’est un travail très lent, parfois très contemplatif. En fait, j’essaie d’aller au coeur de Louis, au coeur de ce qu’il est." Pour l’accompagner dans ce voyage qu’elle n’hésite pas à qualifier de bouleversant, la créatrice a fait appel au talent de Daniel Canty à la dramaturgie, Antonin Sorel à la scénographie, Alexander MacSween à la musique, Christian Gagnon aux éclairages et Sophie Deraspe (Rechercher Victor Pellerin) à la vidéo.
Dans ce spectacle, où l’on entendra principalement la langue de Shakespeare, qui est aussi celle de Negin, il est question de théâtre, de cinéma, de sexe et d’amour, mais aussi du temps qui passe. "C’est un regard sur les images qui ne vieillissent pas, la beauté, la perfection, les apparences, autrement dit sur la dualité entre la fiction glacée et la réalité de la vie, le vrai et le faux." C’est de là que vient la métaphore de l’oeil de verre, celle qui donne son titre au spectacle. "L’oeil de verre, c’est la caméra, le projecteur et le miroir, conclut Brassard. C’est l’oeil qui regarde et celui qui est regardé."
Du 23 au 27 octobre
À l’Usine C
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