Félicité : Miroir de l’âme
Avec Félicité, Olivier Choinière poursuit une entreprise courageuse, celle de confronter le spectateur à ses instincts les plus bas.
En avril 2006, dans l’antre du Théâtre d’Aujourd’hui, Olivier Choinière frappait un grand coup. Aux yeux de plusieurs spectateurs, la faune de Venise-en-Québec, une critique sociale particulièrement acerbe portée à la scène par Jean-Frédéric Messier, présentait des airs de famille pour le moins troublants. Ces jours-ci, le dramaturge reprend du service avec Félicité, une satire qui n’est pas loin d’être aussi subversive. Avec ce spectacle, dont Sylvain Bélanger signe la mise en scène, le Théâtre de la Manufacture prend le beau risque de quitter ses habitudes, aussi bonnes soient-elles. C’est un geste courageux qui se souligne.
Au coeur d’une suite d’intrigues imbriquées, il y a Caro, celle qui passe le plus clair de son temps sous les néons d’un magasin à grande surface. Aliénée, bâillonnée, cloîtrée par son quotidien, la jeune femme (à qui Isabelle Roy communique toute sa présence et sa force silencieuse) s’évade dans son imaginaire pour le moins fertile. Son âme esseulée est un théâtre. De son idole, la grande Céline, elle suit les moindres faits et gestes. Sa passion est dévorante. Mais Caro est aussi captivée par l’histoire d’Isabelle, cette enfant que son père a violée à répétition. Une histoire dont les journaux se repaissent. Le lien? Pour enterrer les plaintes de la fillette, le père indigne avait l’habitude de se servir des éclats de voix de la célèbre chanteuse. Du magasin à rayons, on glisse vers la somptueuse résidence de Las Vegas, puis, sans qu’on ne comprenne exactement ce qui se produit, vers l’appartement crasseux d’une famille dysfonctionnelle. Pour incarner les protagonistes de ces trois histoires indissociables, Bélanger a fait appel à un superbe trio d’acteurs. Sous nos yeux ébahis, Maxime Denommée, Roger La Rue et surtout l’exceptionnellement convaincante Muriel Dutil se métamorphosent avec talent.
Rire pour ne pas pleurer. C’est ni plus ni moins ce que le spectacle propose. Devant la passion effrénée de ses contemporains pour la vie rêvée des gens riches et célèbres et celle, terriblement sordide, de ceux qui vivent dans la plus grande misère matérielle et intellectuelle, Choinière n’a d’autres choix que d’écrire, de nous faire voir le monde par sa lorgnette, à peine déformante. Pourtant, si la clairvoyance du constat ne fait pas de doute, il ne faudrait pas s’attendre à trouver ici des pistes de solution.
Jusqu’au 24 novembre
À La Licorne
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