Créé en 2005, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de l’auteur danois, Le Projet Andersen était de passage à Montréal en 2006. Acclamée depuis d’un continent à l’autre, l’oeuvre de Robert Lepage est actuellement de retour dans la métropole. Après avoir arpenté la planète avec La Face cachée de la lune, Yves Jacques porte maintenant, et avec superbe, le haut-de-forme de Hans Christian.

On a dit et redit les prouesses technologiques auxquelles le solo de Lepage expose, mais la trame narrative n’est pas moins étoffée. Sous des dehors fragmentaires, le récit est au contraire extrêmement cohérent. La colonne vertébrale du spectacle, le fil conducteur, c’est le désir des uns et des autres. Une fois qu’on a compris ça, l’oeuvre dévoile toute sa maîtrise, toute sa finesse et aussi toute sa drôlerie. L’histoire du conte, brillant alliage de modernité et de classicisme, se déroule à Paris. Elle met en scène Frédéric Lapointe, auteur-compositeur québécois, Arnaud de la Guimbretière, administrateur d’opéra français, et Rachid Youssef El Walassi, jeune immigrant d’origine marocaine. Il sera question, vous l’aurez compris, d’appartenance culturelle, de classes sociales et de création. Mais, plus encore, il sera question de désir. Ce dernier court d’un bout à l’autre de la représentation. Même quand on semble parler d’autre chose, c’est encore de lui qu’on parle. Il y a le désir puissant d’un écrivain, détourné dans l’écriture de contes pas tout à fait pour enfants. Il y a le désir illimité d’une dryade, contraint par le jeune marronnier dont elle est prisonnière. Il y a le désir incontrôlable d’un père de famille respectable qui s’incarne dans une pratique frénétique de la masturbation. Il y a le désir tout à fait naturel de Fanny, une chienne qui apprécie tout particulièrement ses sorties au bois de Boulogne. Puis il y a le désir réprimé d’un albinos québécois qui se sent bien loin d’une femme qu’il n’a pas cessé d’aimer.

Dans sa construction, le spectacle ne semble pas bien différent de ce qu’il était en 2006. Mais les correspondances entre les divers aspects de l’oeuvre (social, politique, artistique, intime et collectif) paraissent plus nombreuses et plus raisonnées. Quant à Yves Jacques, il se glisse tout naturellement dans la peau des divers personnages. Si son interprétation rappelle celle de Lepage, jamais le comédien ne plagie, jamais il ne se contente d’imiter. Parfois il rehausse un effet comique. Parfois il accentue la gravité d’une situation. Avec dosage, il ajoute sa touche personnelle à une oeuvre définitivement mûre.

Jusqu’au 10 novembre
Au Théâtre du Nouveau Monde
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