Nora Chipaumire : Entre tradition et modernité
Scène

Nora Chipaumire : Entre tradition et modernité

La New-Yorkaise d’origine africaine Nora Chipaumire revient sur la scène de Tangente avec quatre solos percutants.

Elle avait été programmée en 2004 dans la série "Danses noires" et on l’avait revue l’année suivante dans le cadre du Congrès sur la recherche en danse consacré au rapport entre danse et droits de la personne. Née en 1965 au Zimbabwe (ex-Rhodésie), Nora Chipaumire est établie depuis une vingtaine d’années à New York. C’est une danseuse intense au corps puissant et sculptural, réputée pour la force d’expression et d’impact de solos qui traitent de son identité de femme en lien avec l’histoire passée et présente de son peuple d’origine.

Kanyi/kumusha, la plus récente des quatre créations qu’elle vient nous présenter, est inspirée par Thomas Mapfumo, spécialiste de la musique révolutionnaire chimurenga qui a porté le mouvement des Rhodésiens pour leur indépendance. "Cette pièce répond à mon désir de dialogue avec un artiste qui enracine la tradition dans la culture du 21e siècle, commente la chorégraphe. La question est de savoir comment rendre nouveau quelque chose d’ancien et comment demeurer pertinent comme artiste quand tu vis loin de la culture qui t’a façonné." Être fidèle aux siens en abordant des thèmes qui les concernent tout en intéressant le public occidental fait partie des enjeux qui sous-tendent la démarche artistique de Chipaumire.

Dans Raw, elle puise dans son histoire personnelle pour exprimer l’anxiété vécue par les immigrants sans papiers. Dans Bantu, qui date de 2002, elle se penche sur la question de l’esclavage vu depuis le continent africain. "Qu’advient-il de la mère dont les enfants ne rentrent pas à la maison parce qu’ils ont été vendus? demande-t-elle. Je pense qu’il est temps d’aborder ce point de vue dont les Africains ne parlent jamais parce que ça a été un véritable traumatisme." Avec le temps, elle a modifié le contenu de cette oeuvre pour qu’il puisse résonner plus largement des horreurs perpétrées dans l’histoire de l’humanité.

Créée l’an dernier, Dark Swan prolonge cette idée. "Cette pièce se voulait une réponse simultanée au Darfour et au Zimbabwe", explique-t-elle. Parmi toutes les photos de presse qui la bouleversent, elle est frappée par celles où la mort et la beauté se côtoient. Cette femme élégante fuyant les combats en portant son enfant aura-t-elle survécu à ce moment photographique? Pour creuser la question, Chipaumire part du cygne agonisant dansé par la légendaire ballerine Anna Pavlova en 1907 et l’incarne avec son corps d’Africaine. "Là où le cygne de Pavlova faiblit et où l’on sent qu’il va mourir, le mien résiste et lutte pour sa survie", affirme celle qui a aussi subi bien des épreuves dans sa vie personnelle et qui, si elle danse en solo, n’est jamais vraiment seule.

Comme bien des Africains, elle est en lien avec ses ancêtres à la ville comme à la scène. "En Occident, les artistes entretiennent un dialogue avec l’espace, la musique, le mouvement, dit-elle. Moi, je préfère l’avoir avec mes ancêtres parce que je sais qu’ils sont toujours là et que la scène peut devenir un lieu de grande vulnérabilité si tu penses que tu es complètement seule. Je les sens réellement, je les vois, ils me répondent."

Du 8 au 11 novembre
À Tangente