Le Problème avec moi : Question à soi multiple
Le Problème avec moi offre deux perspectives originales sur la question de l’identité dans une mise en scène où Francine Alepin plonge dans le quotidien pour mieux nous en extraire.
La pièce rapporte les questionnements existentiels d’un certain Léo dans une aventure en deux temps: celui d’un récit écrit par Larry Tremblay à l’âge de 18 ans, et celui d’un dialogue qu’il a conçu pour le théâtre 30 ans plus tard. Deux textes savoureux qui conjuguent à merveille l’humour et la philosophie.
Interprété par l’auteur qui effectue un retour à la scène après 15 ans d’absence, le personnage vit d’abord un angoissant morcellement qui commence par la perte d’une dent et finira par la séparation de la tête et du corps. Carl Béchard occupe aussi la scène, tel un écho de ce même Léo dans la dimension d’un autre espace-temps. Tremblay, narrateur-acteur, est à la fois dans le temps du souvenir et de l’action qu’il raconte. Chaque syllabe est soigneusement mâchée avant d’être livrée d’une voix claire et profonde. Chaque émotion est précisément exprimée dans un langage corporel très codé. Béchard, lui, se situe plus clairement dans le temps de l’action, avec un jeu théâtral également amplifié mais beaucoup plus organique.
Dans l’habile mise en scène d’un soliloque parfois complexe à rendre théâtral, Francine Alepin exacerbe le geste quotidien au point de le rendre surréaliste, presque absurde. Par moments, on se croirait dans un dessin animé. Jouant autant sur la gamme du drame que sur celle du burlesque, elle crée une ambivalence qui génère une tension chez le spectateur. Celle-ci se libère en rires francs dans la seconde partie, où Léo fait la rencontre de son double. Après l’identité fragmentée dans la division du soi, il vacille entre unité retrouvée et schizophrénie dans un dédoublement de personnalité qui offre un dénouement de scénario aussi dramatique et extravagant que dans la première partie. Là, Tremblay et Béchard nous offrent une brillante interprétation d’un duo où la parole et le mouvement sont d’une grande fluidité, où les corps se répondent avec harmonie et se fondent parfois dans une sensualité subtile et troublante.
Si le film Psychose, d’Alfred Hitchcock, sert de fil conducteur dans l’histoire de cette rencontre improbable, il imprègne également le jeu des acteurs et la mise en scène, incluant les éclairages et la bande sonore, créant à nouveau une atmosphère où se mêlent le rire et l’angoisse. Une oeuvre étrange et passionnante qui brouille avec grand art les cartes du réel.
Jusqu’au 24 novembre
À Espace Libre
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