La Métamorphose : Inquiétante étrangeté
Avec La Métamorphose, Oleg Kisseliov explore les labyrinthes intérieurs d’un homme qui tente de s’affranchir de sa communauté.
Dès les premières secondes du spectacle, un étrange malaise gagne le spectateur. Comme lorsque dans un salon mortuaire on peine à cacher un rire nerveux. L’oeuvre entière de Kafka évolue sur les territoires de l’étrangeté. Le malaise grandit au fur et à mesure qu’on avance dans des situations sans issue au climat aussi oppressant qu’angoissant, malgré une forme d’humour, d’absurde, qui apparaît souvent comme déplacée.
Ainsi, chez Kafka, le personnage central ignore toujours les raisons pour lesquelles il se retrouve dans une situation donnée. Il doit faire face à une certaine indifférence des gens autour et composer de manière réaliste avec l’absurdité de certains comportements. Dans La Métamorphose, un court roman paru en 1915, le processus semble d’abord inversé, mais ça revient finalement au même. On se croit parfois dans une sorte de rêve éveillé où les désirs et l’imaginaire se conjuguent, mais se heurtent constamment à des portes closes. De ce choc des univers surgissent parfois de magnifiques mais troublants tableaux surréalistes, des images que la production du Groupe de la Veillée exploite fort bien.
Comme plus tard dans les oeuvres existentialistes, le regard des autres demeure aussi un élément central puisqu’il a prise sur le sort du héros. L’enfer, c’est les autres, disait Sartre. Le metteur en scène Oleg Kisseliov a bien compris cette dimension chez Kafka, et ce drame personnel que vivait l’auteur dans son besoin de se délivrer de sa propre nature, de son père, de sa communauté et des règles de la société qui le régissent. Sa lecture de La Métamorphose l’inscrit mieux encore dans la dynamique générale de l’oeuvre, cerne et questionne plus avant les notions d’identité personnelle et collective.
Les comédiens sont tous bons et les décors comme la conception et l’utilisation des accessoires appuient judicieusement le récit et la direction. L’idée d’ouvrir l’arrière-scène sur un corridor provoque aussi un bel effet tout en accentuant l’aspect kafkaïen de l’objet. Les bandes sonores de jazz et de musique moderne, par contre, nous font décrocher en plus de donner à la pièce un air vieillot, très sixties. Et si le malaise ne surgit pas toujours d’où nous l’attendions, l’inquiétante étrangeté demeure.
Jusqu’au 8 décembre
Au Prospero
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