Natasha Bakht : Une femme accomplie
Scène

Natasha Bakht : Une femme accomplie

La Canadienne Natasha Bakht nous offre quatre solos d’une danse contemporaine harmonieusement imprégnée de différents types de danses indiennes. Un déploiement de grâce au-delà de l’exotisme.

Ses parents étaient convaincus qu’un enfant grandit mieux si l’art fait partie de son éducation et ils voulaient que leur fille nourrisse un lien avec leur culture d’origine. C’est pourquoi Natasha Bakht fut initiée dès l’âge de cinq ans au bharata natyam, une danse classique du sud de l’Inde. "Le style ressemble beaucoup au ballet, au sens où il y a beaucoup de rigueur et de symétrie, explique-t-elle. Ce qui se fait à droite, se fait aussi souvent à gauche. J’apprécie cette formalité et cette rigueur inhérente à tout entraînement classique, et j’avoue que cela m’a toujours procuré un sentiment de grande liberté plutôt que de limites. J’aime aussi la polyvalence du mouvement en bharata natyam: c’est toujours très esthétique même si c’est relativement athlétique physiquement. J’aime l’efficacité de ces deux aspects réunis."

En étudiant le bharata natyam ainsi que la musique et la mythologie indiennes qui y sont étroitement liées, la Torontoise développe le sens de l’effort dans le plaisir jusqu’à ses 18 ans, avant de se frotter aux techniques occidentales. Elle danse sur les scènes de trois continents avec la compagnie de son maître, Menaka Thakkar, jusqu’à ce que la danse indienne fasse l’objet d’un engouement dans le milieu contemporain. Elle profite alors de l’occasion de travailler avec des chorégraphes tels que Joan Phillips ou Robert Desrosiers et s’arrête pour une escale de trois ans à Londres où elle intègre la compagnie de Shobana Jeyasingh, réputée pour le caractère novateur de sa danse contemporaine indienne.

À cette époque, elle fait de timides premiers pas de chorégraphe et en 2000, elle revient au Canada pour créer Loha en collaboration avec le Montréalais Roger Sinha. Le programme de Danse Danse reprend d’ailleurs des solos extraits de cette magnifique pièce en plus de présenter Triptych Self, une oeuvre de Jeyasingh sur le thème de la multiplicité des couches qui composent la personnalité d’un individu. À ces deux créations s’ajoutent deux solos signés Bakht. "En vieillissant, j’ai envie de réfléchir à la façon d’écrire la danse", raconte la jeune femme qui, parallèlement à sa carrière artistique, a suivi des études de droit et de sciences politiques et enseigne aujourd’hui le droit criminel à l’Université d’Ottawa.

INTEGRATION 101

Quand on lui demande de décrire son style chorégraphique, Natasha Bakht répond simplement qu’elle fait une danse contemporaine fortement imprégnée de danse classique indienne du fait de sa formation. "Ma relation avec la tradition, c’est que je viens de là, précise-t-elle. Mais je n’ai pas de désir particulier d’y être fidèle, hormis le fait que je veux faire les choses avec intégrité." Puisant à diverses sources d’inspiration – une idée, une musique, le désir de danser avec quelqu’un, etc. -, elle commence toujours par créer librement du mouvement en studio. Bien souvent, le matériel chorégraphique qu’elle en tire n’a plus grand-chose à voir avec l’impulsion de départ. Et au moment où elle réfléchit à la façon d’assembler les phrases de mouvement pour qu’elles prennent tout leur sens, elle s’entoure de divers collaborateurs – répétitrice, oeil extérieur, compositeur, scénographe, etc. – pour réfléchir au "concept" de la pièce.

"Dans White Space, la pièce présentée en première mondiale à Montréal, le concept était d’explorer les multiples facettes de ce que peut signifier pour moi l’idée de blancheur, cite-t-elle en exemple. Parce que ça peut avoir rapport avec l’idée de race, de faire table rase, ça peut aussi devenir le néant dans une sorte de méditation." Dans Obiter Dictum, qu’elle a créé en 2002 et qui lui a valu une nomination au prestigieux prix Dora Mavor Moore, elle utilise sa danse pour faire écho à cette locution latine qui caractérise les apartés d’un juge qui n’ont aucune autorité malgré leur haut degré de signifiance. "La sorte de danse indienne que je pratique est devenue une façon d’amener au centre cette danse formelle qui est souvent marginalisée et qui ne fait pas autorité dans la danse contemporaine canadienne", déclare celle qui aime raconter des histoires dans ses pièces. "Même si mon travail est plutôt abstrait la plupart du temps, j’aime penser qu’il raconte une histoire et même plusieurs, conclut-elle. J’adore que les gens viennent me dire qu’ils ont vu telle ou telle chose, qui n’est pas nécessairement ce que j’avais en tête. Ça signifie que mes pièces expriment des choses qui ne concernent pas que moi."

Du 6 au 8 décembre
Au Centre Pierre-Péladeau de l’UQAM