Peter Batakliev et Vitali Makarov : Tous des frères
À l’heure où le débat sur les accommodements raisonnables bat son plein, le Théâtre Deuxième Réalité présente Les Émigrés.
Avec Les Émigrés du Polonais Slawomir Mrozek, le Théâtre Deuxième Réalité revient à ses premières amours. C’est en effet avec cette pièce que la compagnie a lancé ses activités en 1995. Douze ans plus tard, et après quelques représentations dans les langues de Shakespeare et de Dostoïevski, Peter Batakliev et Vitali Makarov récidivent dans celle de Molière, toujours sous la houlette d’Alexandre Marine.
Au coeur de la pièce, il y a deux hommes qui, pour des raisons on ne peut plus différentes, ont quitté leur terre d’origine. Tandis que AA (Makarov), un réfugié politique intellectuel, a fui un régime oppressif pour retrouver la liberté d’expression, XX (Batakliev), un ouvrier, s’est exilé dans le but de gagner de l’argent. Bien qu’issus d’une même culture, les deux hommes – obligés de partager un sous-sol pour des raisons économiques – cultivent deux visions du monde diamétralement opposées. Un soir de Nouvel An, le conflit éclate au grand jour.
Selon Batakliev, un comédien d’origine bulgare qui habite le Québec depuis plus de 15 ans, "les deux personnages doivent composer avec le passé et le présent. Alors que pour AA, le passé n’existe plus, pour XX, les racines, c’est ce qu’il y a de plus important." Makarov, qui a quitté sa Russie natale pour s’installer au Québec en 1994, ajoute: "AA cherche la liberté. Pour être libre, il doit couper toutes les connexions avec son pays d’origine. Le débat sur les accommodements raisonnables nous a fait penser que c’était un bon moment pour rejouer le spectacle."
Dans la pièce, écrite en 1974, c’est-à-dire à l’époque du communisme en Pologne, la dimension politique occupe une place de choix. Alexandre Marine, dont la relecture de Marie Stuart vient de triompher au Rideau Vert, a décidé de sabrer dans le texte et de miser sur l’énergie du conflit qui naît entre AA et XX. "On ne nomme pas les pays d’origine des personnages ni le lieu de l’action, souligne Makarov. On a évacué les références politiques pour se concentrer sur le côté humain de l’oeuvre. Cela fonctionne très bien parce que le sujet est encore d’actualité. Pour les émigrés qui arrivent ici chaque année, l’expérience est très douloureuse. À la fin de la journée, on ferme les yeux et on voit les amis, la famille. Mais pour s’adapter au pays d’accueil, il faut embrasser les coutumes."
Pour Batakliev, le fait d’avoir joué Les Émigrés en russe et en anglais et de le faire maintenant en français représente un véritable cadeau: "Lorsque l’on dit plusieurs fois les mêmes paroles dans plusieurs langues, on touche à une profondeur et à une rare compréhension de son personnage." Selon Makarov, le conflit entre les deux protagonistes débouche sur une grande vérité. "La tragédie est aussi intense que dans les oeuvres de Shakespeare, affirme-t-il. Mais derrière le conflit, on découvre qu’on a tous besoin les uns des autres, que ce qui est important, c’est de travailler ensemble pour faire le pont entre les cultures."
Du 4 au15 décembre
À la salle intime du Prospero
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