L’Énéide : Terre promise
En s’appropriant L’Énéide, de Virgile, Olivier Kemeid livre un grand message d’espoir à son temps et à ses semblables.
Une épopée contemporaine, une tragédie d’aujourd’hui, voilà ce qu’Olivier Kemeid a mis au monde en relisant L’Énéide, de Virgile, avec son coeur et son âme. En phase avec son époque, avec les blessures de son temps, si semblables à celles d’Énée, Achate, Pyrgo et les autres, le dramaturge et metteur en scène nous entraîne dans une douloureuse errance, celle d’un groupe d’exilés déterminés à retrouver la lumière. Vous avez dit actuel?
Optant pour une franche théâtralité, Kemeid garde ses sept comédiens en permanence (ou presque) sur la scène. Le plateau, judicieusement couvert de sable par Jasmine Catudal, évoque les grandes berges du monde. Ce sont les côtes d’un pays en flammes que l’on quitte à regret. Celles d’un terre inconnue, peut-être d’accueil, où l’on échoue méfiant mais le coeur plein d’espoir. C’est aussi le rivage qu’on abandonne définitivement pour rejoindre ses ancêtres dans un monde meilleur. À la tête d’un groupe de déracinés, des hommes et des femmes qui n’ont d’autres soifs que d’offrir une terre à leurs enfants, Énée est un héros malgré lui. Sa quête est tragique, mais elle est aussi teintée de dérision et d’ironie. Une fois de plus, l’humour est un extraordinaire levier pour le tragique. Certains personnages, il faut bien l’admettre, nous sont familiers, nous ressemblent: les Occidentaux en vacances au Club Med, l’hôtelière, l’agente d’immigration… Dans son entreprise, Kemeid a eu la bonne idée d’éviter l’apitoiement, la complaisance, le manichéisme. Ici, les êtres sont humains, trop humains, pour notre plus grand bonheur. Dans les rôles d’Énée et Achate, Emmanuel Schwartz et Geoffrey Gaquère sont parfaits, fragiles et solides à la fois. Le reste de la distribution est impeccable, mais il faut souligner les performances de Simon Boudreault et Johanne Haberlin, aussi juste dans tous les personnages qu’ils incarnent.
On ne peut que se réjouir de voir la question de l’immigration faire lentement sa place dans la dramaturgie québécoise. Dans une société où les êtres humains sont rangés par classes, il est plus que temps que les artistes s’interrogent sur le sens du mot fraternité. Déposer sa haine au pied d’un barbelé, voilà ce qu’Énée propose. Marcherons-nous enfin à ses côtés?
Jusqu’au 19 décembre
À Espace Libre
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