Les Émigrés : Guerre froide
Scène

Les Émigrés : Guerre froide

Dans Les Émigrés, les comédiens Vitali Makarov et Peter Batakliev offrent une performance haute en couleur.

Depuis sa fondation, en 1995, le Théâtre Deuxième Réalité a plusieurs fois monté Les Émigrés, en anglais et en russe. La compagnie propose, ces jours-ci, la pièce du Polonais Slawomir Mrozek en version française, toujours dans une mise en scène d’Alexandre Marine.

C’est la veille du jour de l’an, quelque part en Amérique. AA (Vitali Makarov) et XX (Peter Batakliev) partagent un sombre sous-sol. Les deux hommes, originaires d’un pays où règne un régime oppressif, ont fui la terre de leurs ancêtres pour des raisons fort différentes. Le premier, un ouvrier, ne songe qu’à amasser de l’argent pour ensuite rentrer chez lui et construire une maison à sa famille. Le second, intello et réfugié politique, s’est exilé pour retrouver la liberté. À l’aube d’une nouvelle année, le conflit qui les oppose prendra des allures de tragédie. À travers des mises en situation et des dialogues qui relèvent du quotidien tout en frôlant l’absurde, la pièce illustre avec subtilité deux visions du monde aux antipodes, deux façons de réagir aux difficultés de l’immigration. Un sujet grave que Mrozek, dramaturge mais aussi dessinateur satirique et auteur de nouvelles, aborde avec une rare sensibilité, de l’humour et de fines observations sur la nature humaine. Le tandem d’acteurs est tout simplement jouissif. Une ludique et touchante connivence unit les deux artistes, respectivement originaires de Bulgarie et de Russie. Batakliev navigue entre la bonhomie et la colère en passant par la tristesse et le désespoir avec un naturel désarmant. Hyperréaliste, la mise en scène de Marine insiste sur l’action derrière les paroles et sur l’énergie qui naît de la complicité des comédiens. Le décor terre à terre et la musicalité de l’accent des interprètes ajoutent au réalisme de cette rencontre qui exprime l’idée qu’en dépit de nos différences, on a tous besoin les uns des autres.

La pièce, écrite dans la Pologne communiste des années 70, accorde une grande importance au discours politique. Ici, plusieurs de ces passages ont été retranchés, et c’est tant mieux. Ainsi, la représentation mise sur la dichotomie fondamentale de l’oeuvre: la liberté de créer versus l’esclavage de l’homme à l’égard de lui-même et de l’État.