Pierrette Robitaille : Haute voix
Dans La Casta Flore, Pierrette Robitaille endosse le destin de Florence Foster Jenkins, une femme forte et acharnée qui fut en son temps reconnue comme "la pire chanteuse du monde".
Créée à Londres en 2005, la pièce de Peter Quilter Glorious! (devenue La Casta Flore dans la traduction de Daniel Roussel) est une comédie sur la vie de Florence Foster Jenkins, une soprano qui chantait aussi faux qu’elle était convaincue de chanter juste. Pour incarner cette femme qui a fait carrière aux États-Unis de 1912 à 1944, un personnage plus grand que nature, la metteure en scène Monique Duceppe a tout de suite pensé à Pierrette Robitaille.
"Semble-t-il qu’il n’y avait que moi pour jouer cette femme, lance la comédienne. Probablement parce que c’est un personnage qui doit avoir une certaine sympathie auprès du public. Il faut qu’on l’aime, sinon elle pourrait avoir l’air prétentieuse, désagréable." En ce sens, il faut admettre que le choix est indiscutable. Drôle et attachante, la comédienne occupe une place unique dans le coeur des Québécois. Au théâtre, mais aussi au grand et au petit écran, elle n’a pas sa pareille pour déclencher les rires. Cette fois, pourtant, l’interprète se refuse à étiqueter l’oeuvre qu’elle s’apprête à défendre. "C’est curieux mais je ne considère pas la pièce comme une comédie. Pour moi, c’est très touchant. J’ai beaucoup de respect pour cette femme. Son désir de chanter était extraordinaire, il était plus grand que tout le reste, plus grand que toutes les controverses. Nana Mouskouri disait que le désir de chanter, cette énergie qui fait que l’on chante, est une chose plus importante que le chant lui-même. C’est ça qui est touchant chez Florence."
UNE PORTEUSE DE RÊVES
Quand la pièce commence, nous sommes à New York, en 1944. Florence Foster Jenkins, qui avait, dit-on, une voix de cochon qu’on égorge, se prépare pour un récital au Carnegie Hall, une salle prestigieuse qu’elle a louée à ses propres frais. Pour Pierrette Robitaille, c’est certain, la femme était bien plus qu’une illuminée. "Beaucoup de gens se payaient sa tête, mais c’était une porteuse de rêves. Elle aimait vraiment la musique. Mécène, elle a aidé énormément de jeunes musiciens à survivre. Elle était très généreuse. Charmante, charismatique, vive et solide, elle avait des idées, mais elle était aussi un peu fofolle." La comédienne, manifestement imprégnée de son personnage, va plus loin encore: "D’une certaine manière, elle était révolutionnaire. Elle était divorcée et vivait en union libre, ce qui n’était pas courant à l’époque. Pour elle, il n’y avait pas de limites. Toujours elle osait! Ça donne un être que je trouve formidable, une femme qui réveille!"
Autour de la flamboyante Florence s’agite toute une cour de personnages hauts en couleur. Son amant et imprésario (Normand Lévesque), son amie (Pauline Martin), sa bonne mexicaine (Danièle Lorain), une musicienne offusquée (Alexandrine Agostini) et, le dernier mais non le moindre, son nouveau pianiste accompagnateur, un personnage-clé incarné par Benoît Brière. "Le personnage de Benoît est le seul auquel le spectateur peut s’identifier, explique Robitaille. C’est lui qui représente le public, le seul qui n’en revient pas de voir ou plutôt d’entendre ça. Il accepte de jouer pour Florence parce qu’elle paye bien, qu’elle le respecte et qu’elle aime la belle musique." Mais l’homme est loin d’imaginer dans quelle aventure abracadabrante il s’embarque. Un parcours qui va le transformer.
Au milieu des blagues et des notes stridentes, la pièce semble soulever quelques questions de fond. Par exemple: qu’est-ce que ça signifie, avoir du talent? "C’est une question que je trouve extraordinaire, avoue la comédienne. Surtout à une époque de performance et de "talents" sortis de nulle part." Pour les passages chantés du spectacle, Pierrette Robitaille a travaillé avec Geneviève Lenoir. "Elle est extraordinaire! Quel être merveilleux! Elle a une voix exceptionnelle. Sur le plan technique, elle m’a beaucoup aidée. Comme je dois chanter tous les soirs, il faut que je fasse très attention à ma voix. Je ne sors plus, je me mets des foulards tout le tour de la tête… Disons que c’est très délicat. Avec le chant et le texte, c’est un vrai défi! J’espère que je vais y arriver."
Peu de temps après le concert au Carnegie Hall, un immense succès public mais évidemment pas critique, Mme Jenkins est morte, défaite. "Je sens que j’ai la responsabilité de représenter cette femme, explique doucement Pierrette Robitaille. Je voudrais que le monde l’aime. Je ne voudrais pas qu’on se limite à rire d’elle, qu’on la condamne. J’espère qu’on ne passera pas à côté du fait que cette femme avait une grande richesse intérieure."