Le Déluge après : Cristalline
La Rubrique présente Le Déluge après, une pièce tout en contrastes qui, grâce à une touche de magie, fera irradier le diamant brut de la beauté dans les traits de la jeune comédienne Émilie Bouchard Jean.
Elle est fragile et fugace, et se dissipe fatalement avec le temps, et pourtant elle a engendré des guerres à n’en plus finir, occis des innocents. Indissociable du désir et de la convoitise, happant le regard et troublant l’esprit, la beauté est depuis toujours la source absolue de la poésie et de l’art. Et de la tragédie.
"Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté", écrivait René Char dans Fureur et Mystère. C’est un peu ce qui se produit lorsque June (Émilie Bouchard Jean) s’offre au regard des clients du bar L’Émotion, planté au bord de la 132, baigné de l’haleine saline du fleuve Saint-Laurent. Sa beauté est telle qu’elle n’a qu’à exposer sa peau nue pour émouvoir les hommes de l’assistance au point de les faire fondre en larmes. "C’est une icône", explique Michel Bérubé, metteur en scène invité par la Rubrique. "Elle ne danse même pas. Elle fait juste se mettre à poil et l’émotion vient. Alors le soleil se jette sur le spectateur, la lumière jaillit." Bérubé va jusqu’à parler de la cristallisation de sa beauté dans l’univers glauque d’un fond de bar miteux. June devient alors la seule lumière qui puisse encore éclairer ces hommes qui viennent se chauffer à ses rayons. Parmi les habitués, Omer (Richard Fréchette), qui aurait l’âge d’être son père – et qui, dans les faits, pourrait bien l’être, comme n’importe qui dans la salle, si on en croit la rumeur.
C’est une triste histoire que celle de cette danseuse… Et pourtant, il s’agit d’un conte qui, grâce aux bons soins d’une narratrice, Dalida (Johanne Grenon), prendra des proportions mythiques. "J’ai vu ça comme une légende, explique Émilie. C’est des trucs banals, mais quand Dalida les raconte, ça devient complètement autre chose." Ainsi, parce qu’il est parfois nécessaire d’envelopper la réalité d’un fin ruban de fiction pour arriver à peut-être mieux la tolérer, la tristesse de l’effeuilleuse sera enveloppée par l’imagination de Dalida, qui offrira à June des origines mythiques, une vie tout en poésie et un destin digne des plus grandes tragédies. "Volontairement, les gens de ce village-là mystifient leur réalité crue pour la rendre magnifique. Souvent, le moindre petit événement va prendre des proportions mythiques." Comme une rumeur qui s’amplifie.
Le choix d’une comédienne pour incarner un personnage d’une beauté si déconcertante (en plus de la difficulté de jouer les scènes de nudité exigées par le rôle) devenait particulièrement délicat pour l’équipe de la Rubrique. Qu’est-ce qui a permis à Émilie de briller parmi les prétendantes? "Qu’une fille soit une danseuse, que des gars la regardent et creusent des sillons d’yeux sur son corps, comme le dit l’auteure [Sarah Berthiaume]… Pour moi, c’est comme une atteinte à la pureté. C’est comme si on sabotait la beauté, comme si on prenait une fleur pour lui arracher les pétales. Alors pourquoi c’est Émilie qui le fait? C’est à cause de sa pureté. Je le lui ai dit souvent. Elle est comme un beau cristal. Tu ne peux pas salir quelqu’un qui n’est pas beau. Mais salir un cristal… C’est comme si tu sabotais le sacré. Ça me prenait une image forte de beauté. Le fait que ce soit Émilie qui représente cette icône-là, ça magnifie encore plus l’histoire, le déluge de la vie de June, son déclin."
Évidemment, jouer nu sur scène est souvent difficile à accepter. La première réaction d’Émilie lorsqu’on lui a proposé d’auditionner pour le rôle aura d’ailleurs été un non retentissant. Mais après avoir lu le texte de Berthiaume, elle s’est laissé convaincre, chavirée comme on ne peut l’être que porté par l’esprit du fleuve. Aujourd’hui, elle avoue être plus bouleversée par la détresse de son personnage que par l’idée de jouer nue. "C’est un personnage qui m’habite vraiment. Disons que ça m’a brassée un peu…" Bérubé explique ce changement d’attitude par la force du texte: "C’est un objet curieux, cette pièce-là. Quand tu la lis, tu te rends compte qu’elle a quelque chose d’unique. L’auteure a réussi à aller chercher quelque chose que personne n’a écrit. Elle a un univers bien à elle…"
La scénographie de Serge Lapierre suscite déjà beaucoup d’intérêt, jouant de perspective pour attirer l’oeil du spectateur vers un ailleurs lointain, comme lorsqu’on plonge le regard au large. Pour Bérubé, il n’était pas question de chercher à innover, mais le texte appelait un point de fuite, un horizon qui ne soit pas simplement fermé.
Le metteur en scène, originaire de Matane et domicilié dans la métropole, ne connaissait aucun des comédiens de la distribution (Éric Chalifour, Josée Gagnon, Monique Gauvin et Patrice Leblanc s’ajoutent aux comédiens déjà mentionnés). Il semble charmé par leur talent: "Ils travaillent beaucoup, les comédiens, ici. Assez pour être rodés. Et efficaces. Et pour me donner le goût d’en prendre et de monter des shows avec eux à Montréal…" lance-t-il avec un clin d’oeil dans la voix. "C’est con, en région, de juste faire venir des shows de Montréal ou de Québec. Ce qui m’intéresse, c’est de décentraliser le théâtre. Il faut arrêter de faire du théâtre à Montréal et venir le présenter en région. C’est l’fun de sortir de Montréal pour faire son métier."
Du 16 janvier au 2 février
À la salle Pierrette-Gaudreault
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