Marie-Thérèse Fortin, René Richard Cyr et Jean-François Casabonne : Reine de coeur
Scène

Marie-Thérèse Fortin, René Richard Cyr et Jean-François Casabonne : Reine de coeur

Marie-Thérèse Fortin s’apprête à tenir son premier grand rôle sur une scène montréalaise. Aux côtés de René Richard Cyr et Jean-François Casabonne, elle est Elizabeth, roi d’Angleterre.

Sur les scènes de la capitale, Marie-Thérèse Fortin a joué les rôles les plus divers, endossé les écritures les plus contrastées, de Shakespeare à Dalpé, d’Euripide à Tremblay, de Racine à Genet. Dans les habits d’Elizabeth, une souveraine que ses obligations déchirent, la comédienne s’apprête à fouler la scène du Théâtre du Nouveau Monde pour la toute première fois. Une rencontre d’ores et déjà déterminante.

Créée à Stratford en 2000, Elizabeth, roi d’Angleterre (Elizabeth Rex) est une pièce de Timothy Findley, un écrivain ontarien disparu en 2002. L’action se déroule durant la nuit du Mardi gras, le 22 avril de l’an de grâce 1601. À la veille de faire exécuter son amant le comte d’Essex, Elizabeth 1re demande à Shakespeare et aux acteurs de sa troupe de la distraire. Après la représentation de Beaucoup de bruit pour rien, la reine vient à la rencontre de Ned, un acteur spécialisé dans les rôles de femmes et qui se meurt de la syphilis. Elle lui offre un marché: "Enseignez-moi à être une femme… et je vous enseignerai à être un homme."

C’est Jean-François Casabonne qui incarne Shakespeare et René Richard Cyr qui, en plus de signer la mise en scène, défend le personnage de Ned Lowenscroft. Autour d’eux: Yves Amyot, Éric Bruneau, Benoît Dagenais, Geoffrey Gaquère, Agathe Lanctôt, Roger La Rue, Olivier Morin, Éric Paulhus et Adèle Reinhardt. Au coeur de ce projet des plus enthousiasmants, il y a une comédienne qui s’apprête, non sans trac, à incarner une reine qui n’a cessé d’inspirer cinéastes, dramaturges et romanciers. "Ce qui est intéressant dans le personnage, et c’est, je pense, ce qui a intrigué tant de gens, c’est qu’elle était très paradoxale. Findley l’expose assez bien: c’était un chef d’État qui évoluait dans un monde d’hommes et qui, en même temps, était une femme. Ce qui fascine, c’est la manière dont elle a utilisé cette particularité, sa position et son sexe, pour durer."

Elizabeth est la fille d’Anne Boleyn, une stratège politique redoutable, une femme brillante dotée d’un fort tempérament. Quand cette dernière est exécutée par son mari, Henri VIII, sous prétexte de trahison et d’adultère, la future reine a 2 ans et demi. Est-il nécessaire de préciser qu’Elizabeth réalise très tôt la place de la femme dans la société de son époque? "Elle a été traumatisée par la perte de sa mère, explique Fortin. Très jeune, elle aurait dit qu’elle ne se marierait jamais, que personne ne dirigerait à sa place ou à travers elle. Elle voyait bien que ce rapport intime avec un homme allait la déposséder de son pouvoir."

LE PARI D’ÊTRE SOI-MÊME

En poste de 1558 à 1603, Elizabeth a gouverné l’Angleterre avec autorité mais aussi avec des méthodes un peu particulières. "Elle utilisait ses tergiversations, explique Fortin, ce qui était perçu comme des incertitudes, pour arriver à ses fins. Elle montait les seigneurs les uns contre les autres pour obtenir ce qu’elle voulait." Quand la pièce commence, la souveraine est pour ainsi dire prise à son propre jeu, déchirée entre les impératifs du coeur et ceux de la politique. Le comte d’Essex, l’homme qu’elle aime, est accusé de complot. Elizabeth n’a d’autre choix que de commander son exécution. "On la découvre dans son déclin, précise la comédienne. L’Angleterre ne va pas très bien, la guerre avec l’Irlande s’éternise, il y a la peste, des problèmes économiques énormes… C’est une reine usée."

Quand on occupe une fonction aussi importante, il n’est pas évident d’être soi-même. "L’auteur parle du pari d’être soi-même, indique Fortin. Elizabeth s’est accordé une vie amoureuse, mais quand il y avait une superposition avec la raison d’État, c’est toujours cette dernière qui l’a emporté." Pourtant, en cette nuit de 1601 où l’action se déroule, la douleur est plus vive que jamais. Cela ne fait pas de doute, la souveraine est à l’heure des bilans. Sous nos yeux, elle va se découvrir, se mêler aux comédiens de Shakespeare, les Hommes du lord Chambellan, oser explorer la zone la plus trouble de sa personnalité, celle où s’affrontent en un cruel combat sa part féminine et sa part masculine. "La troupe représente le peuple, pense Fortin. Au centre, il y a trois figures: Shakespeare, la reine et Ned. De cette nuit, de cet endroit, véritable microcosme, ils vont tous sortir transformés. Tout cela est éminemment théâtral. C’est le contexte idéal pour qu’Elizabeth dévoile ses forces et ses faiblesses, toutes ses contradictions."

Du 15 janvier au 9 février
Au Théâtre du Nouveau Monde
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GOÛTER À LA LIBERTÉ

Quand René Richard Cyr a lu la pièce de Findley, à la demande de Lorraine Pintal, il est d’abord tombé sous le charme du personnage de Ned, cet acteur qui a joué des rôles de femmes toute sa vie. "Je me suis identifié à lui. C’était le personnage idéal pour faire mes adieux aux talons hauts. Je voulais le jouer! C’est Yves Desgagnés qui m’a convaincu de faire la mise en scène en plus. Quand Lorraine m’a assuré qu’on pouvait prendre le texte à bras-le-corps, non pas l’adapter mais le faire nôtre, j’ai accepté." Pour traduire la pièce, Cyr a fait appel à René-Daniel Dubois. "René-Daniel a trouvé le mordant qu’il fallait pour dépeindre le milieu des acteurs anglais du 17e siècle, en plus de cette langue hexagonale que la reine pourrait avoir." Comment négocier avec la fin des choses? Voilà la question qui est au coeur de l’oeuvre, selon Cyr. "Plus que l’anecdote historique, c’est ce qui m’a touché dans la pièce. Le deuil. La mort, la sienne et celle de l’être aimé, la fin d’un amour, d’une carrière… Je ne voudrais pas dire que c’est un spectacle sur la mort, parce que c’est lumineux. C’est plutôt un travail de réconciliation avec la fin des choses." Au coeur de cette oeuvre d’un romantisme consommé, il y a l’art, le théâtre et ses facultés cathartiques. "On perçoit bien le pouvoir contagieux que peut avoir l’art pour la reine, explique le metteur en scène. C’est par le jeu, au contact des acteurs, qu’elle va goûter à la liberté."

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UN PONT EXUTOIRE

Jean-François Casabonne incarne Shakespeare, un tailleur de vie, un démiurge qui observe le déroulement de l’action sans y prendre vraiment part. "Pour moi, Shakespeare couve une histoire, explique le comédien. L’histoire de cette nuit qui lui est chère, précieuse, ce petit bijou qu’il n’a jamais réussi à écrire mais qu’il a vécu. Durant toute la nuit, l’homme observe, il scrute. Ce qui est intéressant, donc, c’est la superposition des temps. Toute la pièce est un flash-back. Pour Shakespeare, l’écriture de cette nuit est un passage obligé, une étape nécessaire pour traverser de l’autre côté. C’est un pont exutoire. Il doit revenir dans le passé pour vivre le présent, qui est sa mort." Cette nuit à laquelle l’auteur doit revenir afin de partir en paix, c’est celle, décisive, où Elizabeth tient entre ses mains la vie du comte de Southampton, le noble enfermé en compagnie d’Essex pour avoir participé à la rébellion, ce riche mécène soutenant Shakespeare et, selon certains, l’amour de sa vie. Ainsi, il convient d’affirmer que toute la pièce se déroule dans la tête du dramaturge. "Au portique de la mort, explique Casabonne, l’homme fait revenir un souvenir, le moment-fusée qui va lui permettre d’accéder à la constellation sublime, l’apothéose de son être, la consécration de ce qu’il est."