Hélène Blackburn : Le bien et le mal
Scène

Hélène Blackburn : Le bien et le mal

Après l’immense succès de ses créations pour jeune public, Hélène Blackburn revient avec Suites cruelles, une pièce qui mêle la douleur au plaisir. Pour les 16 ans et plus.

Quand elle a fondé la compagnie Cas public, en 1989, Hélène Blackburn a opté pour une structure où la création ne serait pas l’apanage d’une chorégraphe omnipotente. "Il s’agit d’un processus très éclaté auquel tout le monde participe, confie-t-elle. Ça va jusqu’à l’équipe administrative qui assiste à certains tests et donne son avis, ou à des danseurs qui viennent passer quelques jours avec nous et laissent leur trace. Il y a un perpétuel va-et-vient et tout le monde crée. Je lance des idées et ça rebondit: les danseurs créent des séquences gestuelles que je décompose ensuite, j’ai de jeunes chorégraphes au sein de la compagnie qui chorégraphient sur d’autres personnes… Je suis l’animatrice de ce grand groupe de création; ma responsabilité, c’est de ramasser et d’organiser tout ça."

C’est donc au fil de discussions avec ses neuf danseurs et autres salariés que s’est dégagé le thème de la nouvelle oeuvre grand public: Suites cruelles, le diable est dans les détails. Les artistes y déclinent l’idée du lien indéfectible entre plaisir et déplaisir. "On a commencé par observer qu’on vivait une période où une certaine forme de cruauté est valorisée par rapport à la bonté, raconte la chorégraphe. Puis, la conversation a dévié sur le fait que dans notre société, on ne veut plus souffrir, on veut une espèce de confort permanent. On s’est dit que c’était une utopie et que si la douleur disparaissait, il n’y aurait peut-être plus de plaisir non plus. Parce que le plaisir véritable, ça se gagne. La création et la danse sont faites de ça."

À deux semaines de la première, Blackburn connaissait le début et la fin de la pièce, mais elle n’avait pas encore établi l’assemblage final de la quarantaine de fragments développés. Elle s’interrogeait sur ce qu’il resterait des textes extraits du Gai Savoir de Nietzsche et d’un ouvrage de Chantal Thomas sur la douleur dans la littérature française. Elle ne savait pas non plus si elle maintiendrait la cadence effrénée de certains duos laissant ses interprètes exsangues ni ce qu’elle conserverait de la gestuelle issue du langage des signes, très présente dans ses dernières créations.

"On a fait traduire en langage signé tous les mots reliés à la mort et au sexe, explique-t-elle. C’est très amusant d’ailleurs parce que c’est vraiment très explicite, mais je me questionne sur la pertinence de les utiliser. Ça n’aura en tout cas certainement pas l’importance que ça avait dans Barbe Bleue ou dans Journal intime." On retrouvera cependant plusieurs éléments apparus dans les oeuvres pour jeune public, qui ont été une occasion pour la chorégraphe de se ressourcer en se libérant des carcans. Ainsi, elle poursuit le travail des pointes amorcé dans l’oeuvre précédente et elle raffine l’utilisation de la vidéo en direct pour offrir des points de vue originaux sur les danseurs et les deux pianistes sur scène. Enfin, elle choisit de garder l’humour qui a fleuri dans les années passées. De fait, rien n’oblige à être grave quand on crée pour les grands.