Jocelyne Montpetit : Ces spectres agités
Scène

Jocelyne Montpetit : Ces spectres agités

Jocelyne Montpetit investit la scène de l’Agora de la danse avec Faune, un solo en dialogue avec l’esprit de Nijinski.

De Nijinski, on sait surtout qu’il fut danseur étoile des Ballets russes au tout début du 20e siècle. On sait aussi qu’il fut un chorégraphe novateur et audacieux, osant les pieds en-dedans et les genoux cassés dans Le Sacre du printemps et défrayant la chronique avec une sexualité clairement exprimée dans L’Après-midi d’un faune, sa toute première création. On parle moins souvent de la folie dans laquelle il sombra à l’âge de 29 ans et qui l’accompagna jusqu’à sa mort, en 1950. C’est plus précisément à cet aspect du personnage que Jocelyne Montpetit s’attache dans sa nouvelle création.

"Faune, c’est par analogie à la figure de Nijinski, qui a été connu avec cette pièce-là, et c’est aussi en relation avec l’essence profonde du faune de la mythologie romaine, explique-t-elle. C’était un personnage inquiétant, qui vivait la nuit, très sensuel, sexuel, qui à la fois fascinait et faisait peur. En ce sens, il est proche de ce qu’était Nijinski. Et puis le faune, c’est aussi l’artiste avec sa solitude et ses contradictions. J’ai beaucoup travaillé sur la mélancolie à travers les siècles, un état qu’on appelle aujourd’hui la maladie mentale, en m’appuyant sur l’imagerie d’artistes visuels comme Dürer."

Jocelyne Montpetit s’est servie des cahiers non expurgés de Nijinski, dont des extraits choisis sont dits par l’acteur Francesco Capitano. Sa magnifique voix, qu’on entendait dans la pièce Dans le silence des bambous, donne vie à l’esprit de Nijinski sans aller jusqu’à l’incarner, à l’image des costumes sur la scène qui symbolisent les âmes disparues des danseurs qui les ont portés. "C’est une pièce très dépouillée, poursuit la créatrice. C’est un peu comme si je travaillais avec l’esprit fantomatique des choses. Faune est d’ailleurs le premier volet de rencontres avec des danseurs différents et avec ce qu’il en reste. L’an prochain, je ferai un hommage à Kazuo Ohno, qui fut l’un de mes maîtres."

Marquée par une expérience japonaise de plusieurs années, Montpetit a l’art de traduire l’essence des choses en passant par les sens plutôt que par la forme. Ses pièces sont des poèmes zen qu’elle livre avec une incroyable présence et au fil desquels elle se transforme de manière très subtile. Ce sont des oeuvres méditatives qui invitent à une métamorphose collective.

"En tant qu’interprète, j’ai essayé de me laisser traverser par les textes de Nijinski et d’aller vers les images qui m’étaient suggérées", raconte celle qui, à l’occasion, nous offrira sa propre incarnation du faune. "C’est toujours difficile de mettre les mots en rapport avec le corps sur scène, ça ne fonctionne pas toujours. On a donc essayé de faire en sorte qu’ils deviennent une musique avec laquelle le corps puisse entrer en résonance. Les textes sont interprétés dans un grand silence, il y a peu de mouvement quand ils sont dits. C’est un dialogue: il y a le corps et puis les mots de Nijinski qui arrivent des ténèbres, d’un autre monde." Et il y a la musique de Verdi, de Chopin et du gagaku, musique de cour japonaise d’avant notre ère mais aux sonorités des plus contemporaines. Un temps d’arrêt à s’offrir dans le cours de l’histoire.

Jusqu’au 9 février
À l’Agora de la danse
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