Betty Bonifassi et Brigitte Poupart : Filles spirituelles
Scène

Betty Bonifassi et Brigitte Poupart : Filles spirituelles

Brigitte Poupart est sur le point de dévoiler Un jour où l’autre, certainement la plus personnelle de toutes ses créations au sein de Transthéâtre. Avec elle sur scène, nulle autre que Betty Bonifassi.

En fondant la compagnie Transthéâtre, Brigitte Poupart et Michel Monty formulèrent le souhait de se consacrer à un théâtre qui découle d’une réflexion politique, sociale ou philosophique sur les dérives de l’Occident. Dix-sept ans plus tard, les deux créateurs peuvent se targuer de n’avoir jamais dérogé à leurs idéaux de départ. En 2004, ils créaient Cérémonials, une variation allégorique sur le thème de la perte des rituels religieux et l’émergence de ceux qui les ont remplacés. Trois ans plus tard – période durant laquelle sont nés les projets Autoroute et Cabaret insupportable -, Poupart récidive avec Un jour où l’autre.

Cette fois, non seulement Poupart signe-t-elle le texte et la mise en scène (avec Monty), mais elle joue dans le spectacle. Et pas le plus banal des personnages: Jeanne d’Arc, pierre d’assise de toute la représentation. "J’ai une passion pour Jeanne d’Arc depuis que je suis enfant, explique la créatrice. Des histoires d’héroïnes, on s’en fait si peu raconter qu’on a tendance à les magnifier. En vieillissant, il y en a qui oublient ça et d’autres qui restent accrochés. Moi, les voix, la témérité, la volonté de déplacer des montagnes envers et contre tous, la foi et l’acharnement, tout ça m’a toujours fascinée." Et c’est précisément dans cette fascination qu’Un jour où l’autre prend racine.

PORTRAITS DE FEMMES

Il faut bien comprendre que Jeanne d’Arc est ici une amorce. Ce qui intéresse surtout Poupart, c’est le destin des femmes qui se sont, consciemment ou non, inspirées de la Pucelle. "L’angle que j’ai pris, c’est l’héritage de Jeanne d’Arc. Dès le départ, je savais que j’allais écrire sur ce qu’elle avait laissé aux autres femmes. Le défi, ç’a été de choisir, parmi toutes les grandes femmes de l’histoire, celles qui avaient réellement un rapport de filiation avec Jeanne d’Arc. Il fallait que je retrouve chez elles cette humanité, cette abnégation, ce courage."

Ainsi, le spectacle est un échange épistolaire entre différents personnages qui ont, comme Jeanne d’Arc, renversé l’ordre des choses. Il nous entraîne dans les sentiers de l’histoire, à la rencontre de ces femmes plus grandes que nature. Elles sont révolutionnaires, chefs politiques ou encore vivent dans l’anonymat. Mais toutes vont au bout d’un idéal. Parmi elles: la sénatrice Ingrid Betancourt, prisonnière d’un groupe révolutionnaire en Colombie, la militante anarchiste Louise Michel, figure majeure de la Commune de Paris, et l’écrivaine George Sand, pré-féministe, auteure d’une oeuvre colossale et d’une vie hors norme.

Au final, la représentation aborde, de manière didactique (dans le meilleur sens du terme) et sensible, le grand thème de la transmission entre femmes. Selon Poupart, c’est grâce à la transmission que les femmes vont parvenir à changer la perception qu’elles ont d’elles-mêmes. "Les mères doivent changer leur façon d’élever les garçons et les filles, dit-elle. Si ça ne se passe pas là, on va recréer indéfiniment les mêmes problèmes. Le Québec n’a jamais été aussi près d’un équilibre entre les hommes et les femmes. Ce n’est pas le temps de baisser les bras."

D’une certaine manière, Brigitte Poupart, comme les personnages auxquels elle s’intéresse, combat l’ignorance et secoue les moeurs. Ainsi, au coeur du spectacle, une grand-mère écrit à sa petite-fille (alter ego de Poupart) pour lui transmettre ses acquis, la rattacher à cette longue lignée de femmes qui sont venues avant elle et qui la constituent. "On nous parle si rarement des femmes héroïques, insiste la créatrice. En tant que femmes, je pense qu’il faut se faire des racines, remonter le fil du temps, se reconnecter avec nos histoires. Le féminisme n’est pas mort, il a simplement changé de forme, il a évolué. Pour le garder bien vivant, il faut toujours raconter l’histoire des femmes, se rappeler."

LE CHOC DES UNIVERS

Un entrechoquement des genres, des voix, des époques et des disciplines, c’est sans contredit de là qu’est né Un jour où l’autre. Le plus bel exemple: la distribution du spectacle. Sur scène, avec Brigitte Poupart, il y a trois femmes d’âges différents et d’appartenances culturelles diverses. Trois femmes que l’auteure-metteure en scène considère comme des Jeanne d’Arc contemporaines: Enrica Boucher, exquise narratrice du plus récent spectacle du chorégraphe Dave St-Pierre, Monique Mercure, une comédienne chevronnée qui n’a plus besoin de présentation, et Betty Bonifassi, une chanteuse qui prend un plaisir évident à emprunter de nouvelles voies.

C’est à Québec, il y a quelques années, à l’occasion d’un spectacle-bénéfice, que la femme de théâtre et la femme de musique se sont connues. La première accompagnait Les Zapartistes, la seconde, DJ Champion. "On a parlé jusqu’à 5 heures du matin, se remémore Bonifassi. C’était écoeurant!" Poupart renchérit: "C’était magique, comme si on s’était toujours connues, comme si deux amies se retrouvaient après une longue absence."

Depuis, elles ne se sont jamais perdues de vue. Puis, un jour, Brigitte Poupart a fait une proposition à son amie chanteuse. "Il a fallu qu’elle me coure après, explique Bonifassi. Je ne la rappelais pas, j’avais peur de ce qu’elle allait me demander et je ne voulais pas lui dire non. Puis, j’ai fini par écouter ce qu’elle avait à me proposer. Et par dire oui!" Au grand bonheur de la codirectrice de Transthéâtre, Bonifassi a accepté d’incarner George Sand. Rien de moins. L’écrivaine mythique sera ici, on s’en doute, particulièrement douée pour la musique. "Depuis le début, explique Poupart, je voulais que Betty fasse partie intégrante du spectacle. Bien sûr, je voulais qu’elle soit présente vocalement, parce qu’elle a une voix magnifique, mais je voulais aussi qu’elle incarne un personnage."

À en croire la chanteuse, les joies, les angoisses et les remises en question perpétuelles de la création théâtrale ne lui sont pas étrangères. "Tout cela me rappelle beaucoup mon travail en musique. Brigitte n’a pas peur, elle peut tout balayer et recommencer. Ça bouge, c’est vivant, on insuffle continuellement des choses à nos personnages. Il y a peut-être des gens qui seraient insécurisés là-dedans, mais moi j’aime beaucoup ça." (Christian Saint-Pierre)

Du 19 février au 8 mars
À l’Espace Go

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BONIFASSI… DO

Bien qu’elle ait chanté auparavant lors de quelques soirées littéraires, Betty Bonifassi s’est fait découvrir grâce à Belleville rendez-vous, la chanson-thème composée par Benoît Charest pour Les Triplettes de Belleville, film d’animation franco-belgo-québécois réalisé par Sylvain Chomet. Forte d’une prestation remarquée aux Oscars en 2004, la chanteuse décide de se consacrer à sa carrière solo, projet qu’elle doit rapidement mettre en veilleuse, se laissant prendre au jeu de DJ Champion qui lui demande de chanter sur son album Chill’em all et de l’accompagner dans une tournée de plus de deux ans. Récemment, elle quittait le D.J. pour former le groupe Beast avec le batteur et réalisateur Jean-Philippe Goncalves (Plaster, Dumas, Ariane Moffatt). Quelques pièces influencées par le hip-hop, le trip-hop et l’électro expérimental ont déjà fait leur apparition au www.myspace.com/beastsound. On pourra entendre le tandem lors de l’afterparty du MiMi, le 1er mars, au Lion d’Or. (Olivier Robillard Laveaux)