Ann-Sophie Archer : Ailleurs
Scène

Ann-Sophie Archer : Ailleurs

Ann-Sophie Archer nous parle de La Trilogie de Belgrade, dont les membres du Théâtre de l’Inconnu lui ont demandé d’assurer la mise en scène. Destination vérité.

Le Théâtre de l’Inconnu, qui nous avait offert Phèdre et autres labyrinthes il y a trois ans, nous revient avec les mots d’une autre auteure étrangère, soit la Serbe Biljana Srbljanovic. "Elle est à la fois très appréciée et très controversée, observe Ann-Sophie Archer. Parce qu’elle en veut beaucoup aux gens qui ont quitté Belgrade, qui ont fui la guerre alors qu’elle est restée. On sent une charge; il y a une force terrible dans ses textes. Mais ce n’est pas juste du théâtre politique qui dénonce, elle parle vraiment des humains au coeur des conflits. De fait, son écriture comporte une part de voyeurisme; on a vraiment l’impression d’y être. En plus, elle arrive à faire sortir le comique de ça. Elle dit que ses pièces sont des coups de gueule et je trouve que c’est assez juste."

La Trilogie de Belgrade nous permet d’épier quelques-uns de ces exilés alors qu’ils fêtent le Nouvel An d’un bout à l’autre de la planète: deux couples bien nantis à Sydney, deux frères paumés à Prague et deux compatriotes inconnus à Los Angeles. "Ce qui est fascinant, c’est que ça montre une espèce de double moralité, ces personnages tiennent un double discours par rapport à leur pays. Aussi, je trouve que l’auteure nous rend ça attendrissant parce qu’il s’agit d’un propos très fort, mais teinté d’humour. Sans compter qu’elle soutient constamment notre attention, avec un suspense, une ambiance très intrigante", ajoute-t-elle. Quant à ce qui relie l’ensemble, elle poursuit: "Ils parlent tous d’un personnage, Ana, la fille qui a supposément réussi à se tailler une place malgré le régime et qu’on retrouve à Belgrade à la fin. C’est vraiment audacieux et on comprend que ça ait pu choquer. L’autre particularité, c’est que les montres ne fonctionnent plus, comme si le temps était figé pour ces immigrants. Ainsi, ça parle beaucoup de la jeunesse et des rêves brisés. Il y a un goût de vivre, de survivre qui se manifeste de différentes manières et c’est ce qui nous touchait beaucoup."

Afin que le public se sente lui aussi interpellé par cette histoire, la metteure en scène a opté pour une approche réaliste. "Je voulais travailler sur la subtilité de cette double moralité et que ces personnages, on les sente proches de nous, précise-t-elle. J’ai demandé aux comédiens de les imaginer de l’intérieur, pour arriver à faire croire aux gens qu’ils ont vraiment traversé ces épreuves, ce qui nécessite une grande sobriété par moments." Tandis que la scénographie comporte un véritable quatrième mur. "C’est-à-dire que c’est comme si on était des voyeurs, comme si on assistait à ces scènes à travers les stores d’un appartement. Des fois je les laisse là, des fois je les relève, explique-t-elle. Aussi, étant donné que ça se passe dans quatre villes, on crée des atmosphères vraiment différentes. Quand on ferme les stores, on change le décor; quand on les ouvre, on est ailleurs. Parce qu’on veut départager les classes sociales et pouvoir s’imaginer que l’appartement de Prague n’est pas dans le même genre d’immeuble que celui de Sydney. En fait, on cherche pratiquement à faire oublier au spectateur qu’il est au théâtre." Un peu comme si on espionnait notre voisin, quoi.

Du 26 février au 15 mars
À Premier Acte
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