Jan Fabre : Désir d’éternité
Le célèbre créateur flamand Jan Fabre honore Montréal d’une première visite avec L’Ange de la mort, une installation vidéo, danse et performance.
Né en 1958 à Anvers, où il vit encore aujourd’hui, Jan Fabre est artiste visuel, sculpteur, dramaturge, metteur en scène, cinéaste, chorégraphe et scénographe. Il produit des oeuvres avant-gardistes qui mixent souvent la danse, le texte, le film, la musique en direct et une scénographie élaborée, ce qui est le cas pour L’Ange de la mort, l’installation présentée dans le cadre de la troisième édition du Festival Temps d’images.
Dès la fin des années 70, Fabre défraye la chronique en brûlant des liasses de billets sur scène et en dessinant avec son sang. En 1982, il remue le monde du théâtre avec une performance en temps réel de huit heures. "J’ai des doutes sur les termes "radicalité" et "innovation", rétorque-t-il quand on les emploie pour qualifier sa démarche. Pour moi, il s’agit toujours d’une recherche organique où la curiosité guide l’expérience. Le travail que je présente à Montréal est une recherche sur la confluence, sur les liens entre la peinture, le cinéma, l’anatomie du corps humain, l’écriture et la performance."
L’espace scénique est composé de quatre écrans disposés en carré avec, au centre, un tout petit podium sur lequel évolue la danseuse-performeuse croate Ivana Jozic. Le public, lui, est assis en cercle sur des coussins posés au sol sur le pourtour de l’installation. Le sujet principal des images projetées est le célèbre chorégraphe du Ballet de Francfort William Forsythe, filmé dans le plus ancien musée d’anatomie au monde, à Montpellier, en France. "Je voulais que les gens soient dans la performance pour qu’ils se sentent comme s’ils étaient à l’intérieur du crâne de Bill, commente le créateur. Qu’ils se sentent à l’intérieur du cerveau de cet ange ou démon, qu’ils voient par ses yeux et puissent ressentir les muscles de cet être-là et son squelette. La performeuse sur scène leur en offre une sorte de vision microscopique en leur permettant de sentir chaque tension dans ses muscles et de voir chaque goutte de sueur sur son corps."
Les images de Forsythe alternent avec de gros plans sur les objets du musée – embryons dans le formol, squelettes et autres éléments parfois peu ragoûtants. Aux prises de vues de Fabre se mêlent quelques oeuvres de l’artiste Andy Warhol, qui a inspiré le texte de la pièce ainsi que deux autres créations du Belge. "Ça parle de ce que signifie être un artiste et des contradictions inhérentes au statut, explique Fabre. Il veut être connu mais, en même temps, il veut l’anonymat pour créer tranquillement. Il veut être divin ou humble, diable ou ange… Il veut qu’on se souvienne de lui après sa mort aussi." Jozic et Forsythe nous le disent d’ailleurs d’emblée: ils reviennent de la mort pour une réflexion parfois énigmatique sur la célébrité et la condition de l’artiste, évoluant sur une partition musicale du compositeur Eric Sleichim.
Pour ce qui est du processus créatif, les oeuvres ne naissent pas toujours comme on l’imaginerait. "Bill m’avait demandé de créer quelque chose pour lui, alors j’avais écrit ce texte en m’inspirant de Warhol, qui lui ressemble à plusieurs points de vue, raconte Fabre. Mais comme il n’arrivait pas à le mémoriser, on a décidé de faire un film. On a parlé du projet pendant des mois et le tournage s’est fait très vite. J’ai chorégraphié et dirigé Bill, qui est un artiste très humble et m’a bien écouté."
C’était en 1996. Et puis, il y a cinq ans, Fabre découvre Jozic et décide d’écrire une sorte de dialogue entre elle et le film. "C’est une danseuse et une actrice très intelligente, affirme-t-il. C’est la plus vive de la compagnie. Elle a énormément progressé avec cette pièce qui tourne depuis quatre ans, parce qu’elle ne peut pas se cacher: il y a toujours des gens très proches d’elle qui la scrutent attentivement." Une expérience d’immersion qui ne nous laissera certainement pas indifférents.
Le 28 février, à 17 h 30, au Café de l’Usine C, on projette Jan Fabre, l’homme qui mesure les nuages, un documentaire de Caroline Haertel et Mirjana Momirovic.
Du 26 février au 1er mars
À l’Usine C
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