Joël Beddows : L’art du portrait
Avec La Société de Métis, Joël Beddows s’attaque à une pièce énigmatique où la beauté d’un éden paradisiaque contraste avec la laideur du narcissisme des êtres.
Directeur du Théâtre la Catapulte d’Ottawa, Joël Beddows s’intéresse depuis un bon moment au théâtre de Normand Chaurette. Pour vous donner une idée, son projet terminal à l’université portait sur l’une des pièces de l’auteur. Considérée comme une oeuvre de jeunesse par son auteur, La Société de Métis prend racine dans les luxuriants jardins de Métis-sur-Mer. Créé au Studio du CNA en novembre 2005, le spectacle débarque ces jours-ci à Montréal.
Alliant réflexions sérieuses et humour singulier, la pièce est musicale, truffée de symboles, toute en fragments et en reflets. En son coeur, il y a l’imposante Zoé (Érika Gagnon). Entourée de trois invités – le bel Octave (Hugo Lamarre), aveugle, Pamela (Lina Blais), l’enflammée, et Casimir (Claude Lemieux), le mystérieux capitaine des pompiers -, la milliardaire profite de son fastueux domaine. Par un après-midi ensoleillé, elle se rend compte qu’un peintre, caché dans l’ombre des marais, esquisse des portraits d’elle et de ses amis.
Dès lors, et même si le peintre s’y oppose, une seule idée obsède la dame: gagner l’éternité en se procurant les tableaux. Pour "vivre une deuxième vie dans un musée", elle est prête à toutes les bassesses, flatteries, manipulations et menaces. "On est carrément dans le kitsch, explique le metteur en scène. Ces icônes existent dans un monde de trop-plein. Il y a trop d’objets dans la maison. Le désir d’immortalité est trop présent. Il y a un trop-plein d’alcool et un trop-vide de sens." Créée par les Têtes Heureuses il y a plus de 20 ans, la pièce de Chaurette est une matière franchement onirique. "Il y a toutes sortes de références au rêve, affirme Beddows. C’est le rêve du passé, du souvenir des étés qui nous ont marqués. Et la partie noire est tout aussi riche, celle de la hantise du sujet pour le créateur. C’est comme s’il y avait une présence derrière l’oeuvre."
Pour ses mises en scène, le directeur de la Catapulte s’inspire habituellement d’une oeuvre ou d’un tableau. Pour Cette fille-là (2004), c’était William Turner. Pour Le Testament du couturier (2003), Jean-Paul Riopelle et Roméo Savoie. Cette fois, qu’en est-il? "Ce sont les cadres qui m’ont inspiré, lâche Beddows après réflexion. Le pop art nous a enseigné que c’est avec le cadre que l’on crée l’art. Un encadrement est en quelque sorte une mise en contexte qui projette le sujet vers l’esthétisme. Aussi, dans la conception du jeu, dans la conception des corps et dans l’espace, je me suis un peu inspiré de l’oeuvre du sculpteur Alberto Giacometti."
Pour un metteur en scène fasciné par l’éthique dans l’art, La Société de Métis, traversée par la légende de Narcisse, est une matière toute désignée. "Dans la pièce de Chaurette, il est question de la création artistique comme acte narcissique. On n’y échappe pas. C’est comme le mal qui accompagne le bien. À partir du moment où on estime que l’art existe pour nous rendre éternels, on procède à sa perversion. Et une fois que l’art est perverti, il n’existe plus. Il y a beaucoup de façons de pervertir l’art. On peut faire en sorte qu’il soit un objet mercantile. Le prostituer. En réalité, l’art est quelque chose de sacré, d’unique et de beau. Il nous permet de nous transporter vers d’autres compréhensions de soi-même et de l’autre."
Ainsi, Beddows avoue que sa démarche de créateur implique un certain narcissisme. "Il y a une partie très généreuse dans ce que je fais et une autre qui est très narcissique. Étant donné que le narcissisme est considéré dans nos sociétés comme un mal, il faut trouver le bon degré, la bonne dose, le niveau nécessaire et souhaitable."
Du 28 février au 15 mars
À Espace Libre