Margie Gillis : Beauté incarnée
Scène

Margie Gillis : Beauté incarnée

Margie Gillis célèbre son 35e anniversaire de carrière avec une étonnante brochette de danseuses. C’est le moment tout désigné pour revenir sur le parcours de celle qui incarne comme personne les tons et demi-tons de la condition humaine.

On la dit magnétique, charismatique, sublime. On loue son extrême sensibilité, sa capacité à atteindre les âmes en dévoilant la sienne dans ses aspects les plus intimes, avec la générosité et l’humilité propres aux Mères Teresa et autres missionnaires de ce monde. La vocation de Margie Gillis, c’est de danser les paysages intérieurs de la psyché humaine en favorisant l’identification des spectateurs pour provoquer une catharsis et faciliter la guérison des coeurs.

"J’ai commencé à danser en solo parce que je me savais capable d’atteindre le degré de vulnérabilité que je recherchais, et je ne pensais pas pouvoir demander à quelqu’un d’autre de prendre ce risque", explique Gillis, qui a créé plus de 80 solos, des pièces souvent brèves qu’elle qualifie de poèmes. "Être authentique sur scène, ne pas seulement montrer ce qui est beau, être transparent, sans protection psychologique ni énergétique entre toi et le public, c’est un vrai défi qui demande beaucoup. Maintenant, je sais mieux comment travailler avec cette énergie, c’est plus raffiné, moins cru, moins brut qu’avant. Mais ce sont encore les mêmes idées qu’au début: traiter de la condition humaine pour perpétuer l’espoir de créer un monde meilleur pour nous-mêmes et pour les autres."

De fait, les créations de cette prêtresse de la vie explorent une riche gamme d’états et d’humeurs: rage, détresse, dépression, affolement, émerveillement, fragilité, puissance, gravité, ingénuité, sagesse, avec aussi, parfois, une pointe d’humour tendre… Entre lyrisme et hiératisme, elle a tracé au fil du temps la fresque de ses tourments et de ses joies, en résonance avec la petite – et éternellement recommencée – histoire de l’humanité.

IL ETAIT UNE FOIS…

Margie Gillis voit le jour en 1953 à Montréal, dans une famille d’athlètes. Sa mère a représenté le Canada en ski nordique aux Jeux olympiques, son père, les États-Unis. Plus tard, sa soeur sera championne de ski libre et un de ses frères s’illustrera au sein de grandes équipes de hockey. Son autre frère, Christopher, partage d’emblée avec elle son amour de la danse. Chorégraphe à ses heures, il dansera pendant 18 ans à New York dans la compagnie de Paul Taylor.

C’est en Oregon, où ils sont installés pour le travail du père, que les deux enfants prennent leurs premiers cours de danse classique et acrobatique. Il a cinq ans, elle en a trois. "On était censés passer à la télévision dans une émission du type American Idol mais je suis tombée malade le jour de l’enregistrement, se souvient-elle. Et j’en suis très heureuse car mon destin n’était pas de devenir une enfant-star: notre talent aurait été gâché dans le circuit de la télévision. C’était mieux d’avoir une bonne formation et de grandir dans l’art."

Gillis n’a pas six ans quand son père quitte le foyer familial. Sa mère rapatrie alors la petite famille à Montréal. Dans la Métropole, la fillette suit des cours de danse classique jusqu’à ses 12 ans. "J’étais un peu trop sauvage pour le ballet classique", s’exclame en riant celle qui se souvient encore de tous les détails du premier solo qu’elle a dansé à trois ans. "Je ressentais le besoin d’expulser mes émotions sans contrôler mes mouvements. J’ai compris plus tard que la danse classique allait à l’encontre de l’intelligence que je recherchais, qui consistait à trouver une qualité de mouvement qui décrive mes états intérieurs et exprime ce que c’est d’être humain."

À cette époque, Margie n’est pas la dame affable et posée que nous connaissons aujourd’hui. C’est une adolescente émotionnellement perturbée, timide et renfermée, angoissée au point de perdre la longue crinière rousse dont l’utilisation abondante constituera plus tard une des caractéristiques de sa signature chorégraphique. Quand, à 17 ans, elle fait un rêve lui signifiant qu’elle doit choisir la voie de la danse, elle panique à l’idée de devoir affronter un public. "J’avais peur d’accepter cette réalité mais j’avais encore plus peur de la refuser: je savais que si je ne suivais pas cette route-là, je le regretterais toute ma vie, confie-t-elle. Du coup, pendant les 10 premières années de ma carrière, j’étais malade de trac avant les représentations. Et puis j’ai observé mes sensations corporelles et j’ai trouvé comment me détendre physiquement dans ma façon de m’échauffer et de respirer."

Bien des années plus tard, Margie s’est produite sur les scènes d’une vingtaine de pays et personne ne pourrait détecter chez elle un quelconque malaise quand elle dirige la masse de participants réunis depuis deux ans, à l’occasion de la Journée internationale de la danse, pour vivre avec elle une expérience créative de quelques heures.

TROIS VIES EN UNE

C’est en 1973 que Margie Gillis foule les planches pour la première fois comme professionnelle. Principalement autodidacte, elle a tout de même profité de l’expérience de professeurs de renom. Six ans plus tard, elle introduit la danse moderne en Chine avant de créer la Fondation Margie Gillis. En plus des quelque 80 solos qu’elle a imaginés pour elle-même, elle a créé ou collaboré à la création d’une trentaine de duos et pièces de groupe, et dansé une quarantaine de pièces signées par d’autres chorégraphes, dont son défunt frère Christopher Gillis.

Partager la scène avec les cantatrices Suzie LeBlanc et Jessye Norman figure parmi ses souvenirs les plus forts. "Jessye a un tel talent et un tel amour en elle que danser sur sa voix est une expérience sacrée: ça crée des vibrations dans tout le corps qui sont très guérisseuses, déclare-t-elle. Dans un tel contexte, je pourrais danser sur du verre pilé que je ne me blesserais pas." À brûle-pourpoint, elle cite Mercy, Waltzing Matilda, Broken English, Bloom, Loon et Voyage comme des créations parmi les plus marquantes de sa carrière. "Ce sont des pièces fortes, de grands succès mais aussi de grands défis qui m’ont demandé beaucoup de courage, d’intensité, de recherche et de travail parce que j’abordais des choses nouvelles qui n’existaient pas avant pour moi. Je peux les danser encore et encore sans cesser de grandir avec elles et d’y découvrir des choses."

À 55 ans, Margie Gillis reste mue par la danse et pleine de projets. Avis aux mécènes potentiels: elle rêve de filmer de la danse dans la nature, de rénover une église pour en faire un lieu de création, de danser davantage sur de la musique classique, de poursuivre sa recherche sur le corps et aussi de se bonifier dans son rôle d’ambassadrice culturelle du Québec et d’administratrice de la Place des Arts. "Pour rendre encore plus de services à la communauté montréalaise!"

Le 29 février et le 1er mars
Au Théâtre Maisonneuve de la PdA

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CELEBRER LE CHEMIN PARCOURU

Quel plus joli cadeau d’anniversaire Margie Gillis pouvait-elle imaginer qu’une création de groupe avec une distribution originale et entièrement féminine? Dans M.Body.7 (pour "embody", c’est-à-dire "incarner"), elle s’entoure de sept danseuses de haut calibre (Gioconda Barbuto, Holly Bright, Laurence Lemieux, Emily Molnar, Risa Steinberg, Eleanor Duckworth et Anik Bissonnette), auxquelles est venue se joindre une petite fille (Sandrine Bissonnette-Robitaille). Mosaïque de solos, de duos et de collectifs, la pièce a été construite comme un puzzle que la chorégraphe a composé avec les personnalités de chacune des interprètes. Commençant par une méditation en mouvement pour cerner chacune d’entre elles et utilisant des jeux psychologiques pour parfaire les portraits, elle a adapté les processus de création en fonction des expériences et des âges respectifs des danseuses (le spectre va de 11 à 72 ans). "L’idée était que les solos puissent être dansés séparément dans d’autres contextes mais cousus ensemble pour faire une pièce de groupe, explique-t-elle. Ça donne une communauté très touchante avec des sensibilités et des énergies très différentes."